En ce moment où Kinshasa a maille à partir avec Kigali qui soutient ouvertement ses proxy du M23 qui viennent de prendre la cité de Bunagana à la frontière avec l’Ouganda après des assauts infructueux quelque temps avant dans le Rutshuru, le Député national élu de Masisi Justin Ndayishimiye a, lors de la plénière du 19 mai 2022, exprimé la crainte d’une attaque à partir de son fief par des éléments armés identifiés au M23 de plus en plus nombreux dans le PE 4731 appartenant à SMB (Société Minière de Bisunzu).
En tenue de la Police nationale, ces éléments, auteurs de plusieurs exactions à l’endroit de la population locale, sont dissimulés parmi les policiers commis à la garde de cette concession amputée à celle de SAKIMA (Société Aurifère du Kivu et du Maniema) en 2000 et attribuée comme butin de guerre par le RCD, dont le CNDP et le M23 sont des excroissances. Une commission d’enquête parlementaire est en vue aux fins d’aller palper du doigt la réalité sur le terrain pour des vives recommandations au Gouvernement.
L’Est de la RDC est en ébullition à la suite du dernier développement de la situation sécuritaire avec l’avantage pris sur les FARDC dans la cité de Bunagana, à la frontière avec l’Ouganda, par les terroristes du M23, soutenus par le Rwanda qui tire des énormes bénéfices financier et géostratégique en contrôlant la province du Nord-Kivu (SLATEAFRIQUE.COM, «Pourquoi le Rwanda ne veut pas lâcher l’est de la RDC, 29/11/2012). Cela après quelques revers subis dans le Rutshuru.
En attendant l’initiative des FARDC pour reprendre le terrain perdu probablement avec l’appui de l’Ouganda qui semble ne s’être jamais départi de sa détermination à rendre l’Est moribond de la RDC en zone d’influence commerciale (Philipe BIYOYA M., cité in ELIKIA M’BOKOLO, Elections démocratiques en RDC : dynamiques et perspectives, OIF/PNUD, 2010), et le déploiement diplomatique du Gouvernement congolais dont la cause semble trouver échos sur le plan international, une autre contrée de l’Est, le Masisi, est dans le viseur des ennemis de la RDC. Sans ambages, le Député Justin Ndayishimiye l’a déclaré avec véhémence du haut de la tribune de l’Assemblée nationale lors de la plénière du 19 mai dernier. Dans une motion d’information, il a, tout en déplorant l’érection de plusieurs barrières illégales dans son fief- ce qui expose la population à moult tracasseries – alerté sur la présence de plus en plus nombreuse d’hommes armés dans les mines de Bibatama couvertes par le PE 4731. Et de soutenir : «Plusieurs combattants dans le Masisi sont identifiés comme ayant appartenu au M23. Ils sont désormais visibles, habillés en tenue de la Police nationale».
A propos de ce camouflage, dont la COOPERAMMA (Coopérative des Artisans miniers du Masisi) a administré en mars dernier la preuve à l’Auditorat Général Militaire de Kinshasa en produisant la liste desdits policiers irréguliers, le Commandant second de Police nationale/Province du Nord-Kivu, le colonel Van Kasongo Ngoy, est rappelé à Kinshasa par la hiérarchie (Cfr Lettre du Général Dieudonné Amuli Bahigwa, Commissaire Général de la PNC du 08/04/2022). Il est accusé d’avoir injecté dans les rangs de la police commis à la garde de SMB des faux policiers parmi lesquels des jeunes recrutés au Rwanda.
Au regard de ce tableau de plus en plus sombre, le Député national Justin Ndayishimiye craint une nouvelle attaque du Nord-Kivu à partir du PE 4731, à Rubaya. Il pense que l’équivoque doit être levée sur la question du financement des groupes armés, dont le M23, toujours actifs. Il établit ainsi une connexion entre SMB et M23.
Pour l’élu du Masisi, qui dénonce le fait qu’une équipe du Conseiller Spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité ait été empêchée par lesdits policiers d’accéder dans le PE 4731, un ilot de 36 carrés amputé au PE 76 de SAKIMA, réduit présentement à 324 carrés, le début de la solution dans cette partie de la République se trouve dans la déchéance du titre minier de SMB. A l’en croire, ce titre a été non seulement attribué à SMB comme butin de guerre par le RCD, dont le patron Edouard Mwangachu Hizi était une des têtes couronnées et dont les liens avec le CNDP, puis le M23, sont avérés, mais il est aussi au cœur de l’insécurité qui sème la désolation parmi la population du Masisi.
Pour mémoire, trois corps des fils du Masisi fauchés depuis juin 2019 par la tristement célèbre garde de SMB sont sans sépulcres, car gardés à la morgue de l’Hôpital Général de Goma. Malgré les jugements rendus aux 1er et 2ème degrés à Goma, voire à la Cour de cassation, les responsables de SMB ne sont nullement inquiétés.
Vivement la Commission d’enquête parlementaire
La passe d’armes, qui a eu lieu lors de la plénière du 19 mai 2022 à l’Assemblée nationale entre les députés Justin Ndayishimiye et Edouard Mwangachuchu Hizi, a débouché sur la mise sur pied d’une Commission d’enquête parlementaire. Laquelle Commission devait être constituée avant la fin de la session parlementaire ce 15 juin. Sa mission : aller palper du doigt la réalité sur le terrain afin d’éclairer la lanterne de la représentation nationale en vue des éventuelles recommandations au Gouvernement dans la perspective de trouver l’issue à cette situation préoccupante qui prévaut dans cette partie de la République depuis des lustres.
En attendant que cette commission soit à pied d’œuvre, le Député Justin Ndayishimiye a voulu éclairer la lanterne de ses collègues sur la genèse et l’acquisition indue du PE 4731 par SMB à Rubaya. Dans sa livraison du 14 février 2020, le journal Le Phare, le retrace avec beaucoup plus d’à propos, à travers son article intitulé «Coltan : connexion avérée entre les mouvements rebelles et les groupes armés».
En effet, depuis l’invasion rwando-ougandaise sur fond de la guerre dite de libération menée par l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo) en 1996, la RDC, plus particulièrement sa partie orientale, est loin d’être un oasis de paix. Des groupes armés, nationaux et étrangers, ainsi que des armées camouflées de certains pays qui écument cette partie du territoire national, continuent à y semer la mort et la désolation.
Au fil du temps, les motifs des parties belligérantes dans le conflit ont évolué (Rapport Mapping des N.U, Aout 2010). Et ces guerres de l’Est frisent la razzia à cause de l’immensité et de la variété des ressources dont regorge le pays ; lesquelles ressources font l’objet de convoitise et de compétition entre puissances et autres forces prédatrices (J. KANKWENDA MBAYA et F. MUKOKA NSENDA, La République Démocratique du Congo face au complot de la balkanisation, 2013, pp.17-18.).
Initialement (en 1996), l’implication des différentes parties au conflit était motivée essentiellement par des considérations politiques, ethniques et sécuritaires. Cependant, au cours de la deuxième guerre déclenchée en 1998 par le RCD/Goma, l’exploitation des ressources naturelles s’est avérée de plus en plus attrayante non seulement parce qu’elle a permis à ces groupes de financer leurs efforts de guerre, mais aussi du fait qu’elle a été pour un grand nombre de responsables politico-militaires le moyen de s’enrichir sur le plan personnel.
Les ressources naturelles sont donc devenues graduellement un élément moteur de la guerre et leur contrôle a été établi et maintenu par la force (Rapport Mapping des N.U). Ce qui a donné lieu, par l’imposition de systèmes de taxation formels ou semi-formels dans les sites miniers, au niveau des principaux axes routiers et aux frontières, de permis et de redevances, à des réquisitions fréquentes de stocks de minéraux et d’autres ressources.
Dans la perspective du retrait des armées étrangères (Rwanda, Ouganda) suite aux Accords de Lusaka et de Luanda conclus avec l’aide de l’Afrique du Sud et de l’Angola (30 juillet, 06 septembre 2002), d’autres systèmes plus organisés ont été mis sur pied, comme par exemple la création de sociétés écrans et de réseaux d’élite permettant aux armées dont question d’exploiter les ressources du Congo, en collaboration avec les groupes rebelles qu’elles appuyaient sans jamais apparaître en première ligne (Rapport du Groupe d’experts, 24/10/2002). Il a ainsi émergé, entre autres, dans la galaxie du RCD-Goma, en plus de Mme Aziza Kulsum Gulamali, trafiquante connue d’armes dans le conflit burundais nommée ainsi Directrice générale de SOMIGL (Société Minière des Grands Lacs) qui a rapporté au mouvement rebelle la bagatelle d’un million USD par mois, SMB, anciennement MHI, dont le véritable patron, Edouard Mwangachuchu Hizi, n’en était pas moins une tête couronnée.
Les intérêts d’Edouard Mwangachuchu Hizi vont l’aiguiller ensuite vers le CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple), énième mouvement rebelle soutenu par le Rwanda et devenu par la suite parti politique. Aussitôt après les élections générales de 2011 à l’issue desquelles il est élu Député national dans le Masisi grâce au vote imposé en sa faveur par les militaires du CNDP, Edouard Mwangachuchu Hizi est nommé Président de cette structure par Bosco Ntanganda (Rapport d’étape du Groupe d’experts des Nations unies, Juin 2012), présentement à la CPI (Cour Pénale Internationale) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis précédemment en Ituri. Sous ce triste personnage protégé jadis par le Gouvernement Kabila, des unités majoritairement composées d’éléments du CNDP avaient été déployées dans les zones d’importance stratégique, dont le Masisi, pour garantir sa sécurité et ses intérêts économiques (Rapport d’étape du Groupe d’experts des Nations unies, Juin 2012). L’exploitation et la commercialisation des minerais, principalement du coltan, dont SMB jouissait du quasi-monopole, sont à compter parmi lesdits intérêts économiques à protéger dans le Masisi.
Au regard sans doute de son positionnement politique sur l’échiquier national, parce que parlementaire, cette nouvelle aventure ne tente pas Edouard Mwangachuchu Hizi (Jason Stearns, «Repenser la crise au Kivu : mobilisation armée et logique du gouvernement de transition», in Politique africaine 2013/1, N°129, pp.23-49). Toutefois, ses bons rapports avec une partie de ses anciens alliés du CNPP devenus M23 lui permettent de jouer aux bons offices dans les négociations entre le Gouvernement et ces derniers (Nick Long, «DR Congo, Rwanda Agree on ‘’Partial Solution’’ to M23 Rebellion», 16/07/ 2012). Et dans sa livraison du 29 août 2012, le journal «Le Potentiel» notait : «Le président du CNDP Edouard Mwangachuchu, toujours Sénateur, demanderait au Gouvernement de comprendre ses amis rebelles du M23 en mettant en avant l’esprit de réconciliation, comme si c’est le gouvernement qui pose problème».
La ruée vers le coltan : pourquoi le Rwanda ne veut pas lâcher l’Est du Congo ?
Dans ce nouveau tournant, il y a eu entretemps une ruée vers le coltan, dont le prix a flambé en 2000 rendant ce minerai plus attractif que tous les autres dans la partie orientale de la RDC (Rapport Mapping des N.U). En effet, avec un potentiel économique substantiel, le coltan s’avère hautement stratégique en ce que le tantale est indispensable à l’industrie aéronautique, aérospatiale et de défense, voire dans la téléphonie mobile et autres équipements électroniques (Ecole de la guerre économique, La guerre du coltan en RDC, Novembre 2008).
D’une part, le caractère lucratif de son exploitation a conduit à la militarisation des sites miniers et des régions les regorgeant, ainsi qu’à la propension de maintenir le contrôle celles-ci (Ecole de la guerre économique, idem). Conséquence : de graves violations des droits de l’homme et le coût de ce pillage, en termes de vies humaines, est énorme (Rapport Mapping). D’autre part, son caractère hautement stratégique a donné lieu à un affrontement entre puissances américano-européennes pour le contrôle de la filière assorti de celui de ses réserves. La RDC devient ainsi l’enjeu géostratégique de ces puissances qui raisonnent en termes des réserves. En effet, malgré les exportations brésiliennes et australiennes, le coltan de la région du Kivu représente 60 à 80 % des réserves mondiales de tantale et son coût d’exploitation reste faible (Ecole de la guerre économique, idem).
Point de doute. La RDC est en guerre suscitée par le contrôle des minerais stratégiques dont ses sol et sous-sol regorgent à l’Est par ces temps de transition énergétique dans le monde. Outre la guerre ouverte que mène le M23 par procuration pour le Rwanda ainsi que l’a noté de l’ONU (un récent tweet du porte-parole du SG de l’ONU), il y a une autre souterraine qui est économique. Cette dernière se joue sur plusieurs champs de bataille et place de la sorte la RDC sur une piste où se déroule la course au coltan pilotée par les Etats sans éthique (Ecole de la guerre économique, idem).
En plus des puissances américano-européennes qui se livrent une guerre qui ne dit pas son nom pour le contrôle des minerais stratégiques en RDC, il y a aussi des Etats africains qui n’entendent pas être marginalisés. Au premier rang de ceux-ci, il y a le Rwanda qui reste déterminé à transformer l’Est congolais moribond en zone d’influence politique (Philipe Biyoya). Ainsi que noté ci-haut, son régime tire des énormes bénéfices financier et géostratégique en contrôlant la province du Nord-Kivu (SLATEAFRIQUE.COM, idem).
Soutien du M23 à sa création après avoir tourné les pages du RCD et du CNDP, Kigali le soutient jusqu’à ce jour. Seulement voilà, les raisons qu’il avance à cet effet, à savoir la proximité des FARDC et des FDLR et les revendications du M23, déclaré mouvement terroriste et exclu des négociations de Nairobi, ne tiennent plus la route.
Combien des FDLR restent-ils dans le Nord-Kivu et de quelle puissance de feu dispose-t-ils 30 ans après leur venue au Congo ? C’est un secret de polichinelle que le Rwanda a occupé par deux fois l’Est de la RDC, en 1997 avec l’AFDL et de 1998 à 2003 avec le RCD, avec mission de nettoyer ces méprisables qui ont traversé de part en part la RDC et poursuivis même dans les pays voisins tels que la RCA et le Congo-Brazzaville. Non sans compter qu’un de ses ressortissants, le Général James Kabarebe, a été promu chef d’état-major général des FARDC par feu le président Laurent-Désiré Kabila. Puis, comment expliquer que ces rebelles qui ont été vaincus en 2013 et dont une poignée, 300 personnes environ, s’est réfugiée au Rwanda et en Ouganda, puissent se reconstituer, gonfler leur nombre et attaquer la RDC sans bases arrières dans les pays voisins ?
Avec l’avènement du président Félix Antoine Tshisekedi au pouvoir, les équilibres de pouvoirs et les alliances au niveau régional semblent avoir été basculés, ce qui a contribué, notamment, à exacerber en son temps les tensions entre le Rwanda et le Burundi qui s’accusaient mutuellement de soutenir des mouvements armés (Interview de Valeria Alfieri, chercheuse spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs à la Fondation Jean-Jaurès, le 18/10/2020). D’autre part, il y a d’autres pays comme le Kenya qui ont commencé à manifester des réels intérêts pour la RDC au point de se voir ouvrir le pays. Et la résurgence du M23 apparaît ainsi, selon le chercheur français Thierry Vircoulon (Son interview à RFI le 14/06/2022) comme un signal fort de Kigali à d’autres capitales, notamment Nairobi, qu’il reste incontournable dans le dénouement de la situation dans le Nord-Kivu.
L’Ouganda ne reste pas non plus en marge. Malgré la mutualisation des forces de l’UPFD et les FARDC et des accords d’ordre économique, Kampala reste aussi déterminé à transformer l’Est moribond congolais en zone d’influence commerciale (Philipe Biyoya).
Par devers ces deux pays, les Etats et ainsi que les organisations régionales africaines et sous- régionales de l’Afrique australe sont loin de renoncer à la tendance confirmée de leur soutien implicite à l’affaiblissement institutionnel congolais, ainsi qu’au piège du déclassement géopolitique du Congo (Philipe Biyoya). Ceux de l’Afrique centrale aussi. Cela expliquerait-il le récent accord entre le Congo-Brazzaville et le Rwanda où ce dernier se voit confier des terres en face de Kinshasa ?
Le Président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo est tenu de faire preuve de génie afin de sortir le pays de la nasse dans laquelle on veut l’enfermer. Disposer d’une armée forte, réformée, républicaine et bien équipée est une nécessité pour changer le rapport des forces dans la sous-région. Il importe aussi d’arriver à maîtriser le flux de la production minière en se rassurant des mains exploitantes. SMB rassure-t-elle ? C’est la préoccupation du Député Justin Ndayishimiye qui voudrait plutôt que le voile soit levé sur le financement des groupes armés dans le Masisi.
Qu’attendre de la Commission d’enquête parlementaire ?
Ainsi qu’il se dégage, le PE 4731 reste la pomme de discorde dans le secteur de Rubaya, dans le Masisi. La nouvelle guerre du Masisi, où l’insécurité bat déjà son plein, partira sans doute de concession où s’amassent de plus en plus, des éléments incontrôlés. Nul doute. L’enquête parlementaire projetée reste une des voies idoines pour solutionner ce double conflit foncier sur fond d’exploitation minière artisanale. C’est l’occasion pour l’Assemblée nationale, producteur des textes législatifs dont la rigueur doit s’imposer à tous, de prendre la mesure de la situation en débouchant sur des résolutions qui pourront permettre le Gouvernement de sortir de sa léthargie pour faire respecter la loi.
C’est aussi une occasion de réaliser la guerre économique qui est imposée à la RDC par des puissances, voire des pays voisins, aux fins de l’élaboration des politiques publiques adéquates permettant à la RDC de maîtriser le flux de ses minerais, d’améliorer ses exportations par des politiques fiscales incitatives et la recherche de la valeur ajoutée.
Tribune de P. Kaseraka Paluku
CONGO PUB Online