vendredi, octobre 4, 2024

« Nous devons investir dans nos guérisseurs » : la Dre Zolelwa Sifumba se porte à la défense des agents de santé de première ligne

par admin9775

La Dre Zolelwa Sifumba est une agente de santé, une survivante de la tuberculose multirésistante, une alliée du Fonds mondial et une militante de la santé mondiale en Afrique du Sud. Elle agit également à titre de représentante communautaire dans le dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre le COVID-19 (Accélérateur ACT). Par sa pratique de la médecine, elle a bien connu les défis auxquels sont confrontés les agents de santé de première ligne qui combattent le COVID-19. Elle nous fait part de son vécu et de sa mission : améliorer le sort des agents de santé partout dans le monde.

Je faisais mon service médical communautaire dans un hôpital du district rural de KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud, lorsque j’ai appris l’arrivée du COVID-19 l’an dernier. J’ai eu la tuberculose multirésistante alors que j’étais étudiante en médecine il y a de nombreuses années ; je connais bien les dangers associés au manque de ressources dans les systèmes de santé. Cela a fait de moi une ardente militante pour l’amélioration des systèmes de santé. Quand il s’est avéré que les survivants de la tuberculose étaient considérés comme des personnes à haut risque, je suis devenue très anxieuse. Au fur et à mesure qu’on signalait de nouveaux patients présentant des symptômes du COVID-19 dans les petites villes environnant mon hôpital de district, je sentais l’étau se resserrer sur moi.

C’était terrifiant. Les images de l’étranger nous montraient des agents de santé portant une combinaison médicale complète pour se protéger contre le COVID-19. Ici, on nous avait remis des tabliers de base et des masques K95 – on ne trouvait déjà plus de masques N95. Je savais que nous n’avions pas l’espace suffisant pour accueillir le nombre de patients attendu dans les semaines à venir. Je me suis rendu compte que ça n’allait pas bien aller. J’avais peur d’être infectée par le COVID-19. J’ai fait part à la direction de l’hôpital de mes inquiétudes sur l’absence de protection adéquate des agents de santé, mais on m’a répondu que le personnel devait continuer à travailler comme d’habitude. Les éclosions de COVID-19 n’ont pas tardé à survenir parmi le personnel hospitalier.

De plus en plus de malades se présentaient à l’hôpital, et nous avons commencé à avoir des pénuries. Nous manquions d’équipements de protection individuelle (EPI), mais la directive pour les agents de santé était de continuer à s’occuper des patients, même sans la protection minimale. Nous avons aussi manqué d’oxygène pour traiter nos patients. C’était tragique de n’avoir que deux bouteilles d’oxygène pour autant de patients en hypoxémie, et de savoir que si l’on ne donnait pas d’oxygène à chacun d’entre eux, on allait en perdre au moins la moitié. Je voyais des malades admis à l’hôpital avec des saturations en oxygène à 20 %, et je me disais : « Nous n’avons pas assez de bouteilles d’oxygène, qu’allons-nous faire ? » Tellement de gens sont morts comme ça. Même certains des patients que nous avons mis sous oxygénothérapie sont morts, parce que n’arrivions pas à hausser suffisamment leur teneur en oxygène sanguin.

C’est un traumatisme accablant et omniprésent. C’est le traumatisme de ne pas être protégé soi-même, conjugué au traumatisme de ne pas avoir pu servir sa communauté adéquatement à cause des pénuries. C’est le traumatisme de savoir qu’autant d’agents de santé sont emportés par la pandémie à travers le monde, mais aussi que plusieurs s’enlèvent la vie parce qu’ils ne peuvent plus supporter le stress.

Cette situation m’a profondément affectée. Ma profession médicale m’occasionnait déjà des troubles d’anxiété depuis quelques années, et le COVID-19 est venu aggraver la situation. Mes craintes ont fini par se réaliser : j’ai contracté le COVID-19. J’étais fatiguée, je toussais, j’avais des maux de tête et de poitrine. Le simple fait de respirer demandait un surprenant effort. Ce fut une épreuve très difficile. J’ai été hospitalisée une fois pour une oxygénothérapie. Le traitement m’a aidée, mais j’ai attendu très longtemps pour l’obtenir. En fin de compte, j’ai pu louer une bouteille d’oxygène pour la maison, et mes amis et ma famille m’ont aidée pour les repas pendant que j’étais en quarantaine.

J’ai essayé de retourner au travail après ma convalescence, mais j’étais paralysée par l’anxiété. Je travaillais avec un équipement de protection de fortune, et j’ai réalisé que ça ne pouvait plus continuer comme ça. C’est en étant exposée sans protection adéquate que j’ai contracté la tuberculose multirésistante dans le passé. J’ai compris que mon rôle serait désormais d’essayer de changer le cours des choses. Au terme de mon service communautaire, j’ai quitté le front, car je savais que je ne m’en sortirais pas vivante si je ne prenais pas soin de moi. J’ai beaucoup souffert de quitter ce travail que j’aimais tant. Cependant, je savais qu’en tant que militante je pourrais user de ma voix et de mes contacts pour apporter un changement. Ma carrière en médecine a été un parcours de combattante. Aujourd’hui, ma vocation est de venir en aide aux agents de santé eux-mêmes.

Nous n’avons pas le droit de demander aux agents de santé de mettre en péril leur vie sans leur donner le minimum pour se protéger. On les applaudit, on les qualifie de « héros », mais c’est d’une aide structurelle dont ils ont besoin. Comment le monde peut-il s’attendre à vaincre le COVID-19, si on n’investit pas dans les infrastructures, si on n’investit pas dans nos guérisseurs? Il faut aussi continuer la lutte contre les autres pandémies. Les changements structurels profiteront non seulement à la lutte contre le COVID‑19, mais aussi à la lutte contre toutes les pandémies, y compris la tuberculose et le VIH.

Je prends la défense des agents de santé de première ligne, et je contribue à la prestation de services, comme l’approvisionnement en bouteilles d’oxygène. Les gens se demandent : « En quoi des bouteilles d’oxygène pour les patients bénéficieront-elles aux agents de santé? » Nous, les agents de santé, avons à cœur le bien de nos patients. C’est plus qu’un travail ! Voir guérir un patient que l’on croyait condamné est une immense source de joie et de réconfort.

J’ai créé ma propre organisation, Uxhaso Home of Hotep. Uxhaso signifie « soutien » en xhosa. Mon organisation procure aux agents de santé un espace où ils peuvent exprimer leurs besoins – qu’il s’agisse d’EPI, d’oxygène ou de soutien de toute autre nature – et où ils peuvent aussi raconter leur vécu, pour que les gens sachent ce que nous vivons. J’essaie d’établir autant de contacts que possible pour fournir des bouteilles d’oxygène aux agents de santé qui s’adressent à mon organisation. Par exemple, en collaborant avec des organismes du secteur privé, j’ai obtenu des dons d’oxygène pour des hôpitaux. J’ai beaucoup milité ces dernières années, et je peux maintenant mobiliser mon réseau pour plaider efficacement la cause d’autres personnes.

Ce sont nos guérisseurs qui nous aident à traverser cette crise. Qui pensera à leur guérison ?

Les agents de santé prennent des risques quotidiennement pour protéger nos communautés. Ils ont le droit d’être protégés. Pendant la riposte au COVID-19 en 2020, les agents de santé comptaient pour 14 % des cas signalés à l’OMS, et jusqu’à 35 % dans certains pays. Une enquête a révélé que 60 % à 80 % des établissements de santé en Afrique ne disposaient pas de suffisamment d’EPI pour protéger tous leurs agents de santé [1]. Le Fonds mondial codirige le connecteur de systèmes de santé et de riposte du dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre le COVID-19 (Accélérateur ACT). Il a alloué 791 millions de dollars US pour la fourniture d’équipement de protection individuelle (EPI) depuis le début de la pandémie, dans le but de protéger les agents de santé dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Le Fonds mondial est le premier organisme multilatéral subventionnaire des systèmes de santé, avec des investissements d’un milliard de dollars US par année dans l’établissement de systèmes résistants et pérennes pour la santé.

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