La détérioration de la fertilité masculine s’explique par la baisse de la qualité du sperme, mais pas seulement. Le microbiote spermatique est crucial.
Depuis plusieurs années, les constats sur l’évolution de la qualité du sperme inquiètent d’autant qu’elle semble aller de pair avec un taux de fécondité en baisse. Une baisse devenue une préoccupation mondiale…
Une des questions les plus cruciales est de savoir si ce déclin s’explique uniquement par des facteurs économiques et comportementaux, ou si des facteurs biologiques peuvent également être impliqués.
Les causes sont complexes.
La diminution de la qualité du sperme fait partie d’une tendance plus large à la détérioration de la santé reproductive masculine, qui commence à dégénérer en une crise générale de fertilité. S’il est déjà établi que des facteurs environnementaux influencent négativement la qualité du sperme, pour bien comprendre la situation, la compréhension de la biologie des spermatozoïdes reste un enjeu crucial : avec l’impact de l’environnement cellulaire, elles réservent encore des inconnues.
Considérés dans un premier temps comme des parasites contenus dans la semence, mi-vers mi-anguilles, les spermatozoïdes ont été isolés puis reconnus comme des acteurs cellulaires de la reproduction chez le mâle au XVIIᵉ siècle. Mais ils ne sont pas les seuls… Depuis quelques années, les milieux scientifiques constatent que d’autres cellules, non humaines cette fois, joueraient à leurs côtés un rôle dans la fertilité humaine.
Les microbiotes en nous
D’innombrables micro-organismes (bactéries, levures, champignons et virus) vivent dans tous les organismes pluricellulaires. Ils y constituent de véritables écosystèmes que l’on appelle un microbiote, et dont les fonctions physiologiques sont un sujet d’étude depuis une vingtaine d’années.
Ces micro-organismes vivent en colonies au sein de nombreux tissus : appareils digestifs et respiratoires (qui sont particulièrement étudiés et bien connus du grand public), mais aussi nez, peau, etc. Pesant de 2 à 3 kg chez un adulte, ces communautés microbiennes intriguent. Et elles intéressent d’autant plus qu’elles confèrent à chacun des caractères uniques et sont susceptibles de varier au cours de la vie d’un individu. Elles seraient donc associées, pour certaines, à une bonne santé et une longévité accrue.
Lancé en 2008, le Human Microbiome Project (Projet Microbiote humain) vise à caractériser la diversité de ces ensembles de micro-organismes et à explorer le lien entre la présence ou la variation de ces communautés et le développement de maladies. Près de 40 000 articles ont été écrits entre 2009 et 2021 sur le microbiote intestinal, qui constitue la plus grande masse du microbiote d’un individu adulte.
La découverte de l’importance physiologique de ces microbiotes a bouleversé notre rapport à la santé et ouvert des perspectives thérapeutiques nouvelles. La communauté scientifique a donc commencé à explorer les microbiotes d’autres tissus, moins étudiés en première intention.
Le microbiote spermatique, cet inconnu
Le sperme et l’environnement testiculaire ne sont pas stériles, dans les deux sens du terme : ils contiennent, naturellement, de nombreux micro-organismes. Moins riche mais plus diversifié que le microbiote vaginal, il s’enrichit ou s’altère au cours de la vie d’un individu. Ces deux microbiotes revêtent un intérêt particulier dans les études de fertilité humaine.
L’analyse comparée de plus d’une cinquantaine d’études a en effet mis en lumière la complexité et les modifications du microbiote spermatique.
Initialement estimés par des techniques de mise en culture, les microbiotes sont maintenant analysés grâce aux techniques de biologie moléculaire pour accéder aux génomes bactériens. Les techniques de séquençage à haut débit des génomes ainsi que les progrès en bio-informatique contribuent à la caractérisation et l’analyse de ces écosystèmes de micro-organismes et de leurs relations avec l’état de santé de leurs hôtes respectifs.
Ces deux méthodes d’analyse ont pu mettre en évidence l’existence de types de bactéries différents dans le sperme chez les sujets fertiles et non fertiles.
Les méthodes de culture observent fréquemment la présence de Staphylocoques, d’Entérocoques, d’Escherichia et d’Ureaplasma. Les méthodes de séquençage rapportent, quant à elles, une abondance de Lactobacilles, Prevotella, Pseudomonas ainsi que d’autres pathogènes opportunistes anaérobies (micro-organismes vivants dans un milieu sans dioxygène).
Ces résultats illustrent sans doute les limites de ces méthodes de détection, mais ne laissent pas planer de doute sur le fait que les spermatozoïdes ne sont pas seuls dans les éjaculats…
Quelle origine et quels impacts pour le microbiote spermatique ?
Deux origines sont admises. L’une implique les voies génitales hautes (incluant la prostate), l’autre des tissus étrangers au système urogénital (l’appareil digestif, la cavité buccale, le sang ou le vagin), le partage de microbiotes entre les deux pouvant se réaliser à la faveur de relations sexuelles.
Plusieurs études rapportent une corrélation entre la présence de microbes particuliers et la qualité du sperme. Ils seraient par exemple capables d’adhérer aux spermatozoïdes et, partant, d’en modifier des fonctions – telle la mobilité, jusqu’à les immobiliser.
Les effets rapportés sont très variables… La présence de lactobacilles serait ainsi favorable aux fonctions des spermatozoïdes, alors que les présences de protéobactéries, d’Anaerococcus et de Bacteroides ureolyticus seraient davantage associées à des spermes de moins bonne qualité. Comment expliquer ces différents impacts sur les fonctions spermatiques ?
Première possibilité, les micro-organismes pourraient avoir une action positive sur les fonctions du testicule même… Mais, seconde hypothèse, ils pourraient agir comme des antioxydants : ils diminueraient la concentration des dérivés réactifs de l’oxygène (ou espèces réactives de l’oxygène, dont l’excès peut endommager les structures cellulaires) et diminueraient de ce fait la fragmentation et l’altération de l’ADN.
L’apport de micro-organismes vivants, sous forme de probiotiques, montre des effets bénéfiques sur la motilité des spermatozoïdes chez le lapin. Chez l’homme, la supplémentation du régimeen Lactobacillum et Bifidobacterium augmente la motilité et diminue la fragmentation de l’ADN chez les individus atteints d’asthénozoospermie (diminution ou absence de la mobilité des spermatozoïdes, pour plus de 50 % d’entre eux une heure après l’éjaculation).
Des études plus récentes d’administration de probiotiques ont également montré des améliorations de la concentration et de la mobilité des spermatozoïdes ainsi que des diminutions de la mort cellulaire ou de marqueurs d’inflammation. Pour autant, ces observations n’ont pas été réalisées sur des populations suffisamment grandes pour que des conclusions nettes puissent être posées…
Les spermatozoïdes face au microbiote vaginal
Une fois qu’ils ont pénétré les voies génitales féminines, les spermatozoïdes doivent aussi se confronter à l’existence du microbiote local…
Peu d’études ont été réalisées sur les effets de cet autre microbiote sur le sperme, mais plusieurs résultats indiquent tout de même que les bactéries vaginales peuvent avoir des effets délétères sur la survie des spermatozoïdes. Ainsi, si les lactobacilles auraient plutôt un effet protecteur dans les voies génitales masculines, leur présence massive au niveau du vagin altère la qualité du sperme et des phénomènes d’adhérence et d’agglutination des spermatozoïdes sont observés.
D’autres mécanismes cellulaires peuvent être déclenchés tels que la diminution de la mobilité cellulaire ou la destruction des spermatozoïdes par apoptose. Cette mort cellulaire programmée pourrait être provoquée soit par interaction entre des molécules bactériennes et la surface de l’acrosome du spermatozoïde (au niveau de sa tête), soit par l’altération de sa membrane.
Il a été suggéré que le microbiote vaginal puisse agir en discriminant les spermes de moindre qualité, puisque ces derniers seraient plus sensibles aux bactéries hébergées par les voies génitales féminines.
Des pistes d’avenir
Connaître le microbiote séminal et ses modifications permettrait de mieux comprendre l’impact de cet environnement sur la qualité des spermatozoïdes : est-ce que ces bactéries peuvent avoir un réel effet bénéfique sur la qualité du sperme ? Selon leur nature, ces microbiotes peuvent-ils favoriser ou nuire à la fécondité masculine ?
Le microbiote spermatique tend de plus en plus à être reconnu comme une cause potentielle d’infertilité, mais trop peu d’études se sont focalisées sur ces aspects – qui restent par conséquent controversés.
Il est donc nécessaire de rester prudent et que soit tranchée l’hypothèse offerte par ces études : si la présence de microbiote est parfois corrélée à des états pathologiques, le rapport de cause à effet n’est pas clairement établi. L’exploration des mécanismes biologiques de ce compagnonnage spermatozoïdes-microbes ne fait donc que débuter… Elle offre déjà, malgré tout, de nouvelles pistes diagnostiques ou thérapeutiques aux couples non fertiles.
Jean-François Bodart
LePoint va CONGO PUB Online