S’il y a un genre philosophique qui permet de mettre en relief l’esprit des peuples et le caractère profond de leurs visions du monde, ce sont les aphorismes. On les trouve dans toute l’histoire de l’humanité, depuis les vieux temps des civilisations ancestrales jusqu’aux communautés sociohistoriques d’hier et d’aujourd’hui.
Toujours et partout, ils rythment la vie humaine et organisent les relations sociales. A travers le souffle de leur verbe et la succulence de leur expression, ils forgent les tempéraments des individus et les volontés des sociétés.
Dans nos communautés traditionnelles africaines, c’est dans les proverbes et les maximes de vie qu’ont été condensées les sagesses vitales dont nos organisations sociales vivent encore et se nourrissent encore aujourd’hui pour éclairer la vie dans la nuit du monde. On y trouve non seulement une observation nette et précise des comportements humains, des ruses de l’existence et des pièges constants qui pullulent dans les relations humaines, mais s’y dévoilent surtout des savoirs existentiels et des connaissances utiles sur le monde et la destinée humaine. On y découvre aussi ce qu’être une personne véritable veut dire, quel idéal il convient de chercher à réaliser et quelle forme de société il est important de viser comme forme parfaite de l’être-ensemble dans l’existence des peuples.
A côté de cet héritage communautaire condensé dans l’oralité où niche le haut savoir ancestral, le surgissement des civilisations de l’écriture et l’univers de leurs imaginaires ont offert à l’humanité tout un monde de réflexions dont la teneur de sens se cristallise dans de brèves expressions compactes, qui sonnent comme des sons de cloche et éveillent les esprits et les consciences aux devoirs supérieurs de leur être. Comme la sagesse des ancêtres, la lumière de leur écriture exprime et creuse des vérités éternelles qui s’inscrivent dans les profondeurs de la vie.
Chez les grands penseurs qui en ont fait leur mode d’expression et leur style de pensée, l’empreinte de leurs idées et les marques de leur génie laissent de leur temps les marques les plus fortes et les plus fertiles.
Par la concision de leur style et la beauté de leur coup de pinceaux spéculatifs, ils disent le vrai, le juste, le beau et le sublime pour toute personne et toute société sensible à la voie indispensable à suivre pour que l’humanité soit une humanité véritable.
En même temps, ils savent pénétrer dans les fonds les plus obscurs de l’âme humaine et révéler ce qu’elle a d’abject, de glauque, de boueux et de cruellement insondable.
Dans le présent livre d’aphorismes qui s’inscrivent dans les sillages de la sagesse ancestrale et dans la fulgurance des paroles des grands maîtres de la pensée humaine dont il revendique explicitement la parrainage intellectuel, Guillaume Manjolo, nous plonge au cœur de l’homme de notre temps et au fond d’une société en crise qu’est la société du Congo-Kinshasa aujourd’hui. Avec sa torche philosophique et sa passion de la vérité, il prend la posture du juge implacable de ce que l’homme est devenu à notre époque et d’une conscience des exigences d’une autre civilisation possible pour les temps qui s’annoncent.
Juge, il est sans complaisance sur les maladies qui ruinent l’âme des personnes et des sociétés aujourd’hui. Il l’est surtout pour la société congolaise dont ils mettent en lumière les grandes pathologies mortelles.
Conscience profonde de notre temps, il ouvre des perspectives pour penser et imaginer le futur le plus souhaitable pour notre société aujourd’hui.
Dans chaque aphorisme, l’être de la société et des personnes qui la composent est visé. Les différents domaines de la vie sont aussi scrutés avec acuité, sans aucune complaisance ni aucune inclination à dissimuler quoi que ce soit. Le regard est un regard d’aigle, qui saisit tout d’en-haut, avec une perspicacité étonnante. En lui se dévoile une sorte de mépris radical de tout ce qui est bas, tout qui se déroule dans la fange de la vie et n’élève pas l’être humain dans les hauteurs les plus élevées de sa
destinée.
C’est cela qui frappe l’attention dans le style et le rythme des aphorismes de Guillaume Manjolo : un verbe et une attitude d’un homme animé par l’aristocratisme de sa vision du monde, qui veut que tout soit grand, soit beau, soit juste, comme si la destinée de tout homme était d’atteindre la stature de surhomme.
Face à la société congolaise, l’ambition est de sortir l’homme congolais de ses maladies de l’imaginaire qu’il me semble bon de désigner par les vocables suivants :
- L’imbécillité, cette sorte d’enfermement dans la bêtise et la déraison, qui fait que l’homme congolais accepte de vivre dans le contexte où les immenses richesses du pays ne conduisent pas à la grandeur, mais plutôt à la misère insondable ;
- L’incohérence, ce refus de donner une ligne directrice qui puisse unir ce qu’on est, ce qu’on pense, ce qu’on imagine, ce qu’on fait et ce dont on rêve ;
L’inconsistance, ce manque de poids éthique qui conduit les êtres humains à s’enfoncer dans des conflits ethniques et les conflagrations tribales où se détruit toute référence aux grandes valeurs de l’humanité ;
L’insignifiance, cette manière de vivre une vie dépourvue de sens, engouffrée dans l’idiotie des personnes qui ne voient pas plus loin que leur ventre, plus loin que leur bas-ventre et plus loin que le petit bout de leur nez.
Dans chaque aphorisme de Manjolo, j’ai personnellement pu déceler ces maladies de l’esprit et la volonté d’en juguler les effets grâce à une philosophie de l’être, de la volonté nouvelle et d’une haute vision pour éclairer l’avenir de la RD Congo et le futur pour lequel doit être pensé un nouveau monde possible.
Dans cette visée, le penseur atteint l’expression la plus belle de l’être qu’il veut promouvoir : la gloire de la raison et l’esprit de révolte contre tout ce qui la fragilise, la dévalorise et la détruit. Son vrai combat, c’est aussi d’aiguiser les énergies de la volonté de l’homme et de la société pour porter un grand projet de changement aujourd’hui, loin des jérémiades et des pensées pessimistes qui sont le lot de l’esprit congolais par les temps qui courent.
Quand l’homme se pense en termes de grandeur et nourrit son être avec une volonté forte d’atteindre les plus hautes valeurs de son humanité, il devient un être de grandes utopies, de grands rêves, de grandes passions pour construire l’avenir.
Les aphorismes qui sont offerts à la réflexion du grand public dans le présent livre sont une œuvre d’enfantement d’un nouvel être congolais dont ils présentent la mesure véritable. Il est bon de les lire dans cette perspective et d’en faire le ferment éducatif pour notre société.
Leur véritable force, c’est de pouvoir conduire notre société à repenser l’éducation des jeunes générations pour qu’elles se situent dans la dynamique d’une nouvelle substance de l’être congolais et hissent la destinée de notre pays vers une éthique de la volonté pour un autre monde possible, avec des utopies lumineuses pour en habiter l’esprit.
Toute personne qui s’inscrit dans la perspective d’une telle pensée ne s’enfermera pas dans la caverne d’un Congo fermé sur lui-même. Il choisira le Congo qui œuvre à la construction d’une grande Afrique. Il décidera de devenir acteur d’un Congo qui fertilise un nouvel ordre du monde.
Guillaume Manjolo trace ici le chemin pour cette destinée. Ses aphorismes en sont des étoiles qui brillent et des lumières qui éclairent l’avenir.
Kä Mana
Directeur de l’Université alternative à l’Institut
interculturel dans la Région des Grands Lacs
(Pole Institute, Goma, RD Congo)