Les États-Unis discutent avec le Rwanda d’un accord pour y relocaliser certains migrants expulsés. Kigali, déjà contactée pour des projets similaires par Londres et Copenhague, s’affirme comme un partenaire stratégique dans l’externalisation des politiques migratoires occidentales. Des accords qui soulèvent des inquiétudes quant au respect du droit d’asile et du principe de non-refoulement.
Le Rwanda, nouvelle terre d’exil pour les migrants expulsés des États-Unis ? C’est ce que prévoit un accord en cours de négociation entre Washington et Kigali, dont le ministre des Affaires étrangères rwandais, Olivier Nduhungirehe a confirmé l’existence, lundi 5 mai, précisant que les pourparlers étaient pour l’heure à un stade préliminaire. « Je ne m’étendrai pas sur les détails de ce qui est en train d’être discuté ».
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, Washington veut accélérer les expulsions et négocie des arrangements pour envoyer des migrants vers des pays-tiers. En avril dernier, l’accord conclu avec le Salvador avait été vivement critiqué, un migrant salvadorien vivant dans l’État du Maryland et marié à une Américaine ayant été arrêté et expulsé par erreur vers le Salvador aux côtés de plus de 200 membres présumés du gang vénézuélien Tren de Aragua.
De son côté, le Rwanda n’en est pas non plus à son coup d’essai. Sous la présidence de Paul Kagame, de pareils accords d’accueil de migrants ont été en pourparlers avec le Royaume-Uni ou encore le Danemark. Une tendance à externaliser le traitement des demandes d’asile vers des pays tiers, dont certains acteurs humanitaires soulignent les risques juridiques et les atteintes possibles aux droits fondamentaux.
Des précédents controversés

« Nous ne sommes impliqués ni dans l’achat ni dans la vente de personnes, ni avec le Royaume-Uni ni avec qui que ce soit. C’est simplement un problème qui doit être résolu et le Rwanda est prêt à apporter son aide », déclarait le président rwandais Paul Kagame en 2022 à la télévision d’État, défendant des projets visant à envoyer des migrants au Rwanda.
Interrogé sur l’accord avec les États-Unis selon lequel le Rwanda pourrait accueillir des migrants auquel l’asile américain a été refusé mais qui ne pourraient pas être renvoyés dans leur pays d’origine par crainte de persécution, le ministre rwandais des Affaires étrangères rappelait lundi qu' »un tel accord n’est pas nouveau pour le Rwanda ». Le pays a en effet suscité l’attention internationale et une certaine indignation l’an dernier en acceptant d’accueillir les demandeurs d’asile britannique déboutés.
Élaboré à partir d’avril 2022 par le gouvernement de Boris Johnson (et poursuivi par ses successeurs), après un naufrage très meurtrier dans la Manche, le plan avait finalement échoué, censuré par le Premier ministre britannique Keir Starmer à l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement travailliste.
Plus anciennement encore, le Rwanda avait également étudié la possibilité d’un accord migratoire avec le Danemark. En 2021, le pays européen avait adopté une loi visant à traiter les demandes d’asile hors d’Europe. Un programme de transfert des demandeurs d’asile arrivant au Danemark vers le Rwanda est alors envisagé, avec la possibilité de s’installer au Rwanda.
« Le système mondial actuel d’asile et de migration est dysfonctionnel et une nouvelle approche est nécessaire », affirmaient dans une déclaration conjointe les ministres rwandais et danois des Affaires étrangères. Accusé de se décharger de ses responsabilité en matière de protection des réfugiés, le Danemark suspend le projet au profit d’une réflexion avec d’autres pays de l’Union européenne autour d’une solution régionale.
Violation du non-refoulement

A drop house raid yielded several suspected illegal immigrants on April 29, 2010, in Phoenix. Northwestern University political science professor Jacqueline Stevens says some of the nearly 400,000 people deported during the past fiscal year weren’t illegal immigrants.
Plus largement, ces accords reflèteraient selon Carlos Mureithi, correspondant du Guardian en Afrique de l’Est, une stratégie plus large du Rwanda pour s’aligner sur les politiques anti-migration occidentales et attirer un soutien financier.
Les médias locaux au Rwanda ont suggéré que les États-Unis financeraient probablement un programme visant à intégrer les migrants dans la société par le biais d’allocations et d’initiatives d’aide à l’emploi.
Outre la question migratoire, Kigali et Washington sont en contact sur le dossier de la résolution du conflit dans l’est de la RD Congo. Fin avril, Rwanda et RD Congo ont signé une déclaration de principe en présence du secrétaire d’État américain, Marco Rubio.
Mais ces deux dossiers sont bien distincts, assure le ministre rwandais des Affaires étrangères, qui ajoute que les discussions sur l’envoi de migrants par Washington ne pèseront pas sur un éventuel soutien américain. « C’est une question purement bilatérale qui n’a rien à voir avec le conflit à l’est de la RD Congo. »
Outre-Atlantique, le département d’État américain se refuse à commenter l’accord en discussion avec son allié africain, mais déclare que l’engagement avec les gouvernements étrangers est un élément important de la politique du gouvernement visant à dissuader l’immigration illégale.
Récemment, des organisations de défense des droits humains, telle que Human Rights Watch (HRW), ont critiqué ces politiques, soulignant qu’elles compromettraient le droit des individus à demander l’asile et pouvait conduire à des violations du principe de « non-refoulement », qui interdit le renvoi de personnes vers des pays où elles risquent des persécutions.
Des décisions judiciaires ont par ailleurs limité la capacité de l’administration Trump à expulser rapidement des migrants détenus à Guantanamo Bay vers des pays tiers sans procédure régulière, soulignant l’importance de garantir les droits fondamentaux des migrants.
Selon le Rwanda, bien qu’il soit l’un des pays les plus densément peuplés d’Afrique, il dispose de la capacité nécessaire pour contribuer à atténuer ce que de nombreux pays d’Europe – et les États-Unis – considèrent comme un problème croissant de migrants indésirables.
Pays tiers, pays « sûrs » ?

En 2022, Ismael Buchanan, maître de conférences en sciences politiques à l’Université du Rwanda, défendait auprès de l’agence de presse turque Anadolu la décision de Kigali d’accueillir des migrants provenant d’autres pays, estimant cette décision de « pas surprenante, compte tenu de son historique d’accueil de personnes fuyant les conflits du monde entier ».
Cependant, des organisations de défense des droits humains expriment des inquiétudes quant à la capacité du Rwanda à garantir la sécurité et les droits des migrants.
Dans le cadre du projet avorté entre le Royaume-Uni et le Rwanda, des experts avaient déjà exprimé leurs préoccupations quant à l’éthique de tels accords.
« L’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda pourrait être remis en cause en vertu du principe international de non-refoulement qui interdit l’envoi de réfugiés dans un pays où ils seraient ‘exposés à la torture, à des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants ou à d’autres préjudices irréparables' », analysait à l’époque auprès de The Africa Report, la docteure Niovi Vavoula, experte en migration à la Queen Mary School of Law de Londres.
Avant d’être définitivement abandonné, le projet avait été bloqué par de multiples recours en justice, dont un avis de la Cour suprême britannique qui, en 2023, avait prononcé l’illégalité du projet, estimant que le Rwanda n’était pas un pays « sûr » pour les demandeurs d’asile.
Évoquant notamment des cas de refus d’accès au système d’asile rwandais et d’expulsions de force vers d’autres pays, ou de menaces de refoulement vers le pays d’origine, la Cour suprême britannique avait, dans son arrêt [articles 86 et 87], attiré l’attention sur ce que HRW qualifiait alors de « piètre bilan en matière de droits de l’homme ».
Lundi, le New York Times révélait que l’administration Trump envisageait désormais la Libye comme destination pour des migrants expulsés des États-Unis. Une option de nouveau vivement critiquée par HRW et Amnesty International, qui ont documenté des violations graves des droits humains dans les centres de détention pour migrants en Libye, incluant des cas de torture, de violences sexuelles et de détentions arbitraires.
FRANCE 24