Le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018, a interpellé avec force le Parlement européen ce mercredi, dressant un tableau accablant de la crise en République démocratique du Congo (RDC). Devant une assemblée attentive, le célèbre gynécologue a dénoncé l’indifférence internationale face à ce qu’il qualifie de « génocide silencieux », marqué par des violences systémiques et une catastrophe humanitaire sans précédent.
Un bilan humain insoutenable
Avec une voix portée par trente ans d’engagement sur le terrain, Mukwege a rappelé des chiffres qui glacent le sang :
- 6 millions de morts depuis le début des conflits
- 26 millions de Congolais en insécurité alimentaire aiguë
- 7,8 millions de déplacés internes
- Une femme violée toutes les 4 minutes
« Comment l’Occident peut-il continuer à détourner le regard ? », a-t-il lancé, déplorant que cette guerre soit « négligée et oubliée » malgré son ampleur. Son discours a particulièrement insisté sur l’offensive du M23, soutenue par le Rwanda selon les experts de l’ONU, qui contrôle désormais de vastes zones autour de Goma et Bukavu.
L’échec des négociations et le piège des minerais
Le Nobel de la Paix a vivement critiqué l’accord de principe signé fin avril à Washington sous médiation américaine, prévoyant un cessez-le-feu et une cogestion des ressources minières entre la RDC et le Rwanda. « C’est une bombe à retardement », a-t-il averti, soulignant l’absurdité de « confier la gestion du cobalt et du tantale à deux pays en guerre ».
Pour Mukwege, cet accord reproduit les erreurs du passé :
- Opacité sur les clauses économiques, au profit présumé des multinationales
- Absence de mécanismes de justice pour les victimes
- Risque d’exacerber les tensions plutôt que de les apaiser
« Plutôt que de partager des minerais, ne devrions-nous pas d’abord partager la vérité et la justice ? », a-t-il interrogé, appelant à une conférence internationale inclusive sous l’égide de l’ONU.
L’Europe face à ses responsabilités
Alors que les États-Unis poussent pour un accord favorable à leurs intérêts économiques, Mukwege a exhorté l’Union européenne à :
- Sanctionner les soutiens régionaux au M23, notamment le Rwanda
- Geler les importations de minerais liés aux conflits
- Financer un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre
« L’Europe ne peut pas se contenter de discours humanitaires tout en fermant les yeux sur les réseaux qui alimentent cette guerre », a-t-il martelé, rappelant que 60 % des réserves mondiales de cobalt – essentielles à la transition énergétique – se trouvent en RDC.
Une solution durable : la justice avant les profits
Pour le fondateur de l’hôpital de Panzi, aucune paix ne sera possible sans :
- Désarmement des groupes armés sous supervision internationale
- Réparations pour les victimes de violences sexuelles
- Transparence totale sur l’exploitation des ressources
« La communauté internationale a une dette envers le Congo », a conclu Mukwege, citant le rapport Mapping de l’ONU qui documente les crimes commis depuis les années 1990. « Il est temps de passer des condoléances aux actes. »
Réactions et suites attendues
Son intervention a suscité une standing ovation. Plusieurs députés européens ont annoncé le dépôt d’une résolution pour un embargo sur les « minerais du sang ». La balle est désormais dans le camp des institutions, tandis que, dans l’est de la RDC, les combats se poursuivent.
Par Marc Etumba, correspondant à Kinshasa
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