S’il n’est pas la personnalité la plus connue de Bondy, l’une des principales communes de Seine Saint-Denis, Oumar Dième a certainement été ces derniers jours l’une des plus médiatisées du département. L’ancien tirailleur sénégalais a été choisi pour porter la flamme olympique des jeux de Paris 2024. Une flamme qui, pour l’occasion, sert à cautériser une blessure pas encore totalement assumée par la France : l’histoire des tirailleurs sénégalais.
Le 25 juillet, le franco-sénégalais Oumar Dième portera la flamme olympique dans la municipalité de Bondy. La sélection de l’ancien tirailleur sénégalais a été révélée en 2023 durant une visite au Sénégal de Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis. Pour Oumar Dième, c’est le moment d’une reconnaissance, une des premières pour lesquelles il ne devra pas se battre. En effet, porté en symbole en prélude aux Jeux Olympiques de Paris, Oumar Dième a pourtant dû batailler contre l’administration française pour garder sa pension minimum de vieillesse.
Fuir le prêche pour le fusil et les tranchées
L’histoire d’Oumar Dième est d’abord celle d’une fuite. Né en 1932 au Sénégal, dans le village de Badiana en Basse-Casamance, il vit au sein du cercle familial et semble se diriger vers un destin qui ne lui convient pas. Le père d’Oumar Dième souhaite que le jeune homme, comme lui, finisse imam. Mais, au prêche, le jeune homme préfère les tranchées. Lorsque la figure paternelle l’envoie étudier le Coran en 1953, Oumar Dième fuit et part s’enrôler dans l’armée française.

En 2022, le film « Tirailleurs » avec Omar Sy suscite une forte émotion.
Il rejoint le corps des tirailleurs sénégalais. Il s’agit en fait de corps de fantassins venus d’Afrique pour aider l’armée française. Le Sénégal ayant envoyé les premiers soldats, l’appellation « tirailleurs sénégalais » finit par rester. Au sein des tirailleurs, Oumar Dième se porte volontaire pour rejoindre le front d’Indochine, où la France coloniale soutenue par les États-Unis combat le Viêt Minh, une organisation indépendantiste soutenue par la Chine. C’est en tout cas la version que relaient la grande majorité des médias. Selon eux, le Sénégalais a été motivé par le fait de voir ses camarades revenir du front avec des médailles et des décorations.
« Se retrouver face à des personnes qu’ils devaient considérer comme des ennemis alors qu’ils comprenaient leur souhait d’indépendance, c’était difficile ».
Contacté par le département de Seine-Saint-Denis pour une interview, il raconte pourtant une histoire différente de celle du volontaire attiré par les médailles. « Après 6 mois de formation à Saint-Louis, on m’a désigné pour faire partie d’un détachement pour aller en Indochine. Le 29 octobre 1953, on partait pour l’Indochine et le 8 décembre, on nous a emmenés par avion en direction du Tonkin, au nord Vietnam. On y est restés jusqu’à la fin de la guerre en avril-mai 1954 », raconte-t-il. « Oumar Diémé a été très éprouvé par la guerre d’Indochine, comme tous les autres tirailleurs. A la base, il ne souhaitait pas y aller, il se demandait tous les jours ce qu’il faisait là. Se retrouver face à des personnes qu’ils devaient considérer comme des ennemis alors qu’ils comprenaient leur souhait d’indépendance, c’était difficile », explique Aïssata Seck, petite fille d’un autre tirailleur sénégalais de l’époque également présent en Indochine.
Des guerres pas si volontaires
En Indochine, Oumar Dième a failli payer au prix fort ses envies de médailles. Il perd 22 hommes de son unité dans une embuscade. Le combat est difficile, surtout par faute de moyens. « On n’avait pas d’eau potable donc on buvait l’eau non filtrée des cours d’eau. J’ai attrapé une dysenterie et ça a été très dur », confie l’ancien soldat.

En 2023, Paris inaugure la place des Tirailleurs Sénégalais.
Au final, cette guerre est perdue. A cette partie de l’histoire, la plupart des médias se contentent de dire qu’Oumar Dième est ensuite parti combattre pour la France lors de la guerre d’Algérie qui dure de 1954 à 1962. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples. « En pleine mer, dans le bateau qui devait nous amener à Oran, il y a eu une mutinerie. Les types se sont révoltés. Ils disaient qu’il n’était pas question d’aller en Algérie », confie Oumar Dième.
« En pleine mer, dans le bateau qui devait nous amener à Oran, il y a eu une mutinerie. Les types se sont révoltés. Ils disaient qu’il n’était pas question d’aller en Algérie ».
Cette mutinerie lui permet de rentrer d’abord chez lui au Sénégal. Mais il finit tout de même par être envoyé sur les fronts de la guerre d’Algérie en 1959 et y reste un an. C’est en Algérie qu’il apprend l’accession à l’indépendance du Sénégal et rentre peu de temps après sur ses terres en 1960 après la dissolution du corps des tirailleurs sénégalais. Il est reversé dans l’armée sénégalaise, mais décide de prendre sa retraite à 36 ans. Il enchaîne ensuite les petits boulots. Gardien à l’université de Dakar, puis coursier, il choisit finalement de quitter le Sénégal pour retourner en France. Il y parvient et à partir de 1992 vit dans un foyer à Bondy. C’est là qu’il découvre l’ultime affront. La nation pour laquelle il a risqué sa vie et pour laquelle de nombreux frères d’armes ont péri, lui refuse la nationalité.
Il enchaîne ensuite les petits boulots. Gardien à l’université de Dakar, puis coursier, il choisit finalement de quitter le Sénégal pour retourner en France.
S’en suit alors un long combat administratif qu’il finit, avec les autres tirailleurs par remporter… en 2016. C’est à cette époque que le petit groupe de tirailleurs restant rencontre Aïssata Seck. C’est grâce à sa mobilisation que l’opinion offre un soutien aux anciens combattants africains qui seront naturalisés sous le mandat présidentiel de François Hollande. Oumar Dième a 84 ans. Il ne le sait pas encore, mais ce ne sera pas son dernier combat. Amoindris, par l’âge qui emporte leurs camarades, les survivants du corps des tirailleurs sénégalais doivent ensuite mener une autre bataille. Pour toucher le minimum vieillesse de 950 € par mois, que verse l’Etat français aux anciens tirailleurs sénégalais, ils doivent au moins passer 6 mois en France. Le petit groupe d’anciens soldats s’insurge contre cette mesure. Ils finiront par avoir gain de cause 7 ans plus tard. En 2023, la France finit par permettre à ces anciens soldats de rentrer dans leurs pays. Oumar Dième fait partie d’un groupe de 4 tirailleurs attendus au Sénégal. A 91 ans, lors de son départ, il n’est même pas le plus vieux du groupe. L’obligation de passer au moins 6 mois en France a poussé la plupart de ses camarades à rester à Bondy, quitte à prendre le risque de mourir loin des leurs. Oumar Dième rentre à Badiana en 2023 et peut continuer à percevoir sa pension.
Les tirailleurs, une plaie peu assumée par l’histoire française
De retour chez lui, Oumar Dième retrouve des couleurs. « Je suis très heureux d’être au milieu de ma famille. En France, j’étais enfermé dans une chambrette de 17 m2. Je ne voyais personne. Dans ce village, tout le monde m’aime », confie le vieux soldat.
« Je suis très heureux d’être au milieu de ma famille. En France, j’étais enfermé dans une chambrette de 17 m2. Je ne voyais personne. Dans ce village, tout le monde m’aime ».
Il ne le sait pas mais Aïssata Seck, adjointe au maire de Bondy, et Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis, ont proposé son nom pour porter la flamme olympique en juillet 2024, en prélude aux jeux de Paris. « Alors que le relais de la Flamme Olympique est une tradition incontournable des Jeux, le Département de la Seine-Saint-Denis souhaite profiter de cette occasion unique pour mettre en lumière des visages qui font et qui ont fait la France d’aujourd’hui », explique Stéphane Troussel. Pendant longtemps, les tirailleurs ont donné l’impression d’être une partie de l’histoire trop lourde à porter pour la France.

En 2023, Oumar Dième peut enfin percevoir sa pension sans vivre en France.
En 2022, lorsque le film « Tirailleurs », réalisé par Mathieu Vadepied et porté à l’écran par l’acteur par Omar Sy, remet le débat sur le devant de l’opinion, on sent une gêne et une crispation dans les médias. L’inauguration de la place des Tirailleurs Sénégalais, à Paris en 2023, lance une décrispation que poursuit le droit donné, aux anciens membres de ce corps, de percevoir leurs pensions sans vivre en France.
Le mois passé, la 77e édition du Festival de Cannes a présenté la version restaurée de « Camp de Thiaroye », un film interdit de diffusion en France à sa sortie en 1988, qui évoque la souffrance des tirailleurs sénégalais et leur rôle dans l’histoire française.
La France commence à accepter de soigner une blessure. Les quelques mètres que devrait parcourir Oumar Dième en portant la flamme en juillet, certainement à l’aide de son fils, constitueront tout un symbole de la marche cathartique de la France. A défaut de pouvoir les réparer, le pays accepte les erreurs du passé et tente, tant bien que mal, de cautériser cette blessure.
Servan Ahougnon
AGENCE ECOFIN via CONGO PUB Online