La littérature congolaise et africaine est en deuil. Valentin-Yves Mudimbe, l’un des plus grands intellectuels du continent, s’est éteint dans la nuit du 21 au 22 avril à son domicile en Caroline du Nord (États-Unis), à l’âge de 83 ans. Philosophe, écrivain et anthropologue, Mudimbe laisse derrière lui une œuvre monumentale qui a profondément marqué la pensée postcoloniale et redéfini la manière d’appréhender l’Afrique.
Une vie dédiée à la déconstruction des récits dominants
Né en 1941 le 8 décembre 1941 à Likasi, dans l’actuelle République Démocratique du Congo, il grandit dans un environnement religieux avant de renoncer à une vocation monastique à l’âge de 21 ans. Il se dirige alors vers des études de philosophie à l’Université de Louvain, en Belgique, marquant ainsi le début d’un parcours académique qui l’amènerait à devenir l’une des figures les plus respectées du monde littéraire et intellectuel africain. il s’impose comme une voix majeure de la critique épistémologique, démontrant comment l’Occident a fabriqué une certaine « idée de l’Afrique » à travers ce qu’il nommait la « bibliothèque coloniale ».
Exilé en 1979 comme beaucoup d’intellectuels sous le régime de Mobutu, il enseigne ensuite aux États-Unis, notamment à Duke University et Stanford, tout en produisant une œuvre dense où se mêlent philosophie, littérature et sciences sociales.
Une œuvre qui transcende les frontières
Ses travaux, comme L’Invention de l’Afrique (1988), ont révolutionné les études postcoloniales en révélant les mécanismes de domination à travers le savoir. Ses romans – Le Bel Immonde (1976) ou L’Odeur du Père (1982) – explorent quant à eux les contradictions des sociétés africaines post-indépendances, mêlant profondeur théorique et puissance narrative.
Pour l’écrivain congolais Joyeux Ngoma, interrogé par ACTUALITE.CD, Mudimbe était « un phare dont la lumière éclairait nos tentatives de dire le monde à partir de l’Afrique […] Il savait interroger les évidences, traverser les frontières géographiques, philosophiques, spirituelles. »
Un héritage vivant
Au-delà de ses livres, Mudimbe a inspiré des générations de chercheurs et d’artistes, insufflant une exigence : penser l’Afrique hors des carcans imposés. Godefroy Mwanabwato, autre écrivain congolais, le décrit comme « le patriarche de la littérature congolaise », saluant « son travail rigoureux et novateur [qui] a renouvelé notre compréhension des enjeux postcoloniaux. »
En tant que penseur engagé, il a contribué à la mise en lumière des contradictions de l’histoire coloniale et a ouvert la voie à des analyses plus profondes sur la place de l’Afrique dans le monde moderne. Ses travaux sont désormais une référence incontournable pour tous ceux qui cherchent à comprendre les dynamiques complexes entre l’Afrique et l’Occident.
Alors que les hommages affluent du monde entier, une question persiste : qui prendra le relais de ce « baobab » de la pensée, dont les racines plongent dans l’histoire et les branches portent les fruits d’une Afrique réinventée ?
Dernier ouvrage paru : Les Corps glorieux des mots et des êtres (2023), une réflexion poétique sur le langage et l’identité.
Par Marc Etumba, correspondant à Kinshasa
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