En Inde, on en sait un peu plus sur les raisons du crash de l’avion de ligne d’Air India, survenu le mois dernier. 260 personnes ont péri après que le Boeing 787 Dreamliner s’est écrasé juste après son décollage de l’aéroport d’Ahmedabad, le 12 juin dernier. Le rapport préliminaire de cet accident vient d’être rendu public, et après l’analyse des boîtes noires, il envisage la possibilité d’une erreur humaine, car les interrupteurs des deux moteurs semblent avoir été abaissés, ce qui a coupé leur alimentation. Une situation qui serait extrêmement rare et étonnante, analyse Xavier Tytelman, consultant en aéronautique.
RFI : Quelles sont vos premières réactions à la lecture des conclusions de ce rapport ?
Xavier Tytelman : Ce rapport confirme d’abord ce que les premières vidéos nous ont suggéré : il y a bien eu une coupure des deux moteurs, et cela n’a pas été entraîné par des oiseaux par exemple. Il nous indique plutôt que les « switch » d’alimentation des moteurs, les interrupteurs, étaient en position coupée, c’est-à-dire que physiquement, ils avaient été désactivés dans le cockpit par l’un des deux pilotes. C’est vraiment étonnant, mais c’est ce que je comprends de ces conclusions préliminaires, car il faut savoir que ce système d’alimentation ne possède pas de moyen de sauter de manière automatique.
Pourquoi un pilote couperait-il lui-même les moteurs de l’avion ?
Soyons clairs, il n’y avait absolument aucune raison logique de le faire. Il n’y avait aucune panne ni moteur en feu qui rendrait nécessaire de couper un moteur. Nous sommes alors au décollage avec une poussée normale, et tout va bien. Le relevé des boîtes noires nous indique en fait qu’un des pilotes dit à l’autre : « C’est toi qui a coupé le moteur ? » Et le deuxième pilote répond, « mais non, j’ai rien fait ». Ils relancent donc les réacteurs, mais à l’altitude où ils étaient, ils n’ont pas eu le temps de reprendre de la puissance. Ils ont essayé de planer du mieux qu’ils ont pu, mais ils n’ont pas réussi à redécoller
Est-ce que cet interrupteur d’alimentation des moteurs peut être désactivé par erreur ?
Non, c’est impossible. Il faut d’abord savoir que ce n’est pas comme un bouton de lumière, sur lequel on pourrait appuyer par erreur, ou comme si on pouvait accrocher son pull par inadvertance pour déclencher cela. Non, il faut forcément réaliser une procédure, c’est-à-dire tirer le contrôle avant de changer la position. Et cela, c’est nécessairement quelqu’un qui le fait avec sa main. Et je n’imagine pas qu’ils puissent simplement se tromper de bouton et couper les moteurs plutôt que de rentrer les trains d’atterrissage par exemple. Ce n’est vraiment pas du tout le même endroit dans le cockpit.
Dans le passé, il est déjà arrivé qu’un pilote, qui venait d’être atteint d’un accident vasculaire cérébral (AVC) de quelques secondes pendant le décollage, ait fait cette action. Et cela a effectivement coupé les moteurs. Cela n’est arrivé qu’une seule fois dans l’histoire, mais cela reste quelque chose d’envisageable.
Peut-on envisager qu’un pilote ait voulu se suicider ?
S’il y avait un suicide, on aurait plutôt entendu une affirmation telle que « c’est toi qui a coupé ? Oui, c’est moi qui ai coupé, » puis il aurait poussé les manettes vers le bas pour aller au tapis. Donc, si on part sur l’idée que c’est une action dans le cockpit qui a entraîné le crash, à mon avis, c’est une erreur involontaire qui aurait été provoquée par l’un des deux pilotes, potentiellement après une perte de conscience de quelques secondes. C’est pour cela qu’il y a des suivis médicaux très approfondis sur les pilotes. Encore une fois, pour l’instant, nous nous basons sur des suppositions qui seront peut-être fausses, mais les premiers éléments contenus dans le rapport nous orientent vers cette option.
Est-ce que ce rapport est complètement fiable ?
Le rapport préliminaire est techniquement infaillible. C’est l’analyse des boîtes noires, la retranscription des images et l’analyse des échanges radios. Cela a été réalisé par les inspecteurs indiens, en collaboration avec des représentants des États-Unis et du producteur du moteur. Donc, il n’y a aucun doute. Il y a d’ailleurs très peu de pays sur lesquels il y a des doutes et des suspicions de non-respect des procédures. C’est notamment l’Égypte qui a essayé de mentir plusieurs fois sur des accidents. Mais là, pour l’Inde, étant donné qu’ils ont eux-mêmes demandé la coopération internationale, il n’y a pas de doute sur la fiabilité des informations qu’ils ont diffusées.
Quand pourra-t-on avoir des éléments plus définitifs sur les causes de l’arrêt des moteurs ?
Cela va être long et peut prendre un an pour avoir les conclusions. Mais si c’est un problème technique, c’est-à-dire que si c’est lié à Boeing ou au fabricant du moteur, il y aura très rapidement des exigences de modification. Mais à l’inverse, s’il n’y a pas tout de suite une information dans ce sens, cela viendra plutôt confirmer qu’on est sur un facteur humain.
RFI