La lutte contre le VIH est dans une situation paradoxale. Malgré des avancées scientifiques réelles, le dernier rapport de l’Onusida livre un constat alarmant : la riposte mondiale est fragilisée, prise dans une spirale de financements en baisse et de ruptures de services sanitaires.
Selon la directrice de l’Onusida, Winnie Byanyima,« la réponse mondiale contre le VIH a connu son plus important recul depuis des décennies ». Dans treize pays, le nombre de personnes nouvellement mises sous traitement a diminué. Des ruptures d’approvisionnement sont rapportées en Éthiopie et en République démocratique du Congo, touchant aussi bien les tests de dépistage que l’accès aux traitements antirétroviraux. Au Nigeria, la distribution de préservatifs a chuté de 55%. Les organisations communautaires, qui constituaient jusqu’ici le cœur de la riposte, sont durement frappées : plus de 60% de celles dirigées par des femmes ont dû suspendre des programmes essentiels.
À l’échelle mondiale, près de 40,8 millions de personnes vivent aujourd’hui avec le VIH. L’an dernier, 1,3 million de nouvelles infections ont été enregistrées. Et 9,2 millions de ces personnes n’ont toujours pas accès à un traitement ARV. « Le VIH n’est pas fini », insiste Winnie Byanyima, qui lance un appel pressant à la mobilisation internationale, quelques jours seulement après une terrible désillusion. Le Fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose n’a récolté qu’un peu plus de 11 milliards de dollars pour les trois prochaines années, quand il estimait en avoir besoin de 18 milliards. Cette reconstitution est même inférieure à celle de 2022, menaçant ainsi la pérennité de nombreux programmes tout autour du monde.
Quelques avancées dans les labos
Pourtant, dans les laboratoires et les centres de recherche, la lutte contre le virus ne stagne pas. Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-MIE (Agence nationale de recherche sur le sida et les maladies émergentes), y voit une situation paradoxale, une « double dynamique » avec, d’un côté, des progrès thérapeutiques importants ; de l’autre, un affaiblissement de la capacité à les déployer.
Des traitements antirétroviraux à longue durée d’action sont désormais disponibles. Plutôt que de vivre avec la prise quotidienne d’un comprimé, des patients peuvent espacer les doses : « on peut faire tous les deux mois », explique Yazdan Yazdanpanah, ce qui améliore l’acceptation du traitement. « 43% des personnes vivant avec le VIH privilégient ces traitements longue durée parmi leurs premiers choix, même avant des critères comme les effets secondaires ou la taille des comprimés ».
Autre innovation majeure : la PrEP injectable, en prévention. Le Lénacapavir, recommandé récemment par l’OMS, offre une protection semestrielle contre l’infection. « C’est une injection tous les six mois pour empêcher le VIH », précise Yazdan Yazdanpanah. Grâce à un accord international, le coût pourrait tourner autour de 40 dollars par an dans 120 pays à ressources limitées, alors que le médicament était jusqu’à présent vendu environ 30 000 dollars par an aux États-Unis.
Comment faire sans assez d’argent ?
Mais ces avancées risquent de rester théoriques si les systèmes de santé ne suivent pas. En 2025, l’aide mondiale au développement en matière de santé a diminué de 22%, marquée par la diminution ou l’arrêt de programmes américains.
« Le problème, c’est la brutalité qui va avec », estime Yazdan Yazdanpanah. « Il faut lutter contre. Mais dans le même temps, cette dépendance envers les États-Unis, en termes de recherche et d’intervention sur le VIH, ce n’est pas normal non plus. Il y a un problème avec notre écosystème et il faut réfléchir à ça. »
L’Afrique subsaharienne illustre ce dilemme. Le continent concentre une grande partie des nouvelles infections et 60% des malades du VIH y vivent. Dans plusieurs zones, les fermetures de centres communautaires se multiplient, tandis que la distribution de préservatifs ou l’accès au dépistage régresse. La crise du financement, combinée aux séquelles de la pandémie de Covid-19, fragilise, voire compromet, les progrès réalisés depuis le début des années 2000.
L’Onusida est claire : « La science seule ne suffira pas ».L’agence onusienne appelle ainsi à repenser le modèle de financement international, et que les pays les plus touchés y consacrent des ressources propres. Faute de quoi, au lieu de mettre fin à l’épidémie de VIH/sida en 2030 comme elle s’y est engagée, la communauté internationale ne pourra qu’au mieux la contenir. Pire, si les trajectoires financières restent dans leur dynamique actuelle, l’Onusida anticipe un retour à la hausse du VIH/sida d’ici à 2030.
RFI









