Kigali a récemment affirmé que le groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda, a capturé et remis aux autorités rwandaises des combattants présumés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé hostile au gouvernement rwandais. Parmi ces captifs figurait le général Gakwerere, un ancien dirigeant des FDLR. Selon les déclarations rwandaises, ces rebelles auraient été capturés à Goma, une ville de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) actuellement sous le contrôle des Forces de défense rwandaises (RDF) depuis environ un mois.
Cependant, cette version des faits est accueillie avec scepticisme par une partie de l’opinion publique et des observateurs, qui soulèvent des incohérences troublantes dans le récit présenté par Kigali. En effet, après trois ans de conflit dans la province du Nord-Kivu, où le M23 a occupé de vastes territoires, c’est la première fois que le groupe prétend capturer et remettre des combattants des FDLR. Pendant ce temps, la RDC a régulièrement présenté des preuves de la présence de militaires rwandais sur son territoire pour étayer ses accusations d’agression rwandaise à travers le M23.
Des incohérences flagrantes

Plusieurs éléments remettent en question la crédibilité de cette opération :
- Des uniformes flambant neufs : Les prétendus rebelles FDLR capturés portaient des uniformes neufs des Forces armées de la RDC (FARDC). Il est peu probable que des combattants des FDLR, opérant dans des conditions difficiles, arborent des tenues aussi impeccables après des combats sur la ligne de front.
- Des uniformes propres après un mois de captivité : Les captifs auraient conservé leurs uniformes FARDC propres et intacts pendant un mois après leur capture, un détail qui semble invraisemblable pour des prisonniers de guerre.
- Des baskets de marque en parfait état : Les chaussures des prétendus rebelles, également en excellent état, ajoutent à l’étrangeté de la situation.
- Un langage corporel inhabituel : Le comportement des prisonniers, présentés comme des combattants capturés, ne correspond pas à celui de personnes ayant subi des conditions de guerre et de détention. Cette mise en scène semble violer les normes du droit international humanitaire.
- Le cas du général Gakwerere : Ce dernier est connu pour avoir quitté les FDLR il y a plusieurs années et serait retourné au Rwanda. Sa réapparition soudaine dans ce contexte soulève des questions sur la véracité de l’opération.
Une manipulation dénoncée
Ces éléments ont conduit certains observateurs à dénoncer une manipulation orchestrée par les services de renseignement rwandais. Le général Gakwerere, présenté comme un captif des FDLR, serait en réalité un ancien membre des FDLR travaillant pour le Rwanda depuis plus de 20 ans. Son apparition à Rubavu, une ville rwandaise, vêtu d’un uniforme des FARDC, semble être une tentative de créer une fausse narration selon laquelle les FARDC soutiennent les FDLR.
Cette manœuvre viserait à distraire l’opinion publique internationale et à justifier la présence militaire rwandaise en RDC en présentant Kigali comme un acteur luttant contre les FDLR, un groupe considéré comme une menace pour la sécurité du Rwanda. Cependant, cette stratégie est vivement critiquée, notamment en raison des antécédents du Rwanda en matière de désinformation et de manipulation.
Position officielle du Rwanda

Le colonel Joseph Mweisire, commandant de la brigade locale des RDF, a déclaré à l’Agence de radiodiffusion rwandaise (RBA) que « leur arrestation au Congo et leur transfert au Rwanda contribueront à la pacification de la sous-région ». Il a ajouté que les rebelles seraient « remis aux autorités chargées de leur dossier, après quoi ils seront poursuivis un par un ».
« S’il y en a qui ont commis des crimes de génocide, ils seront traduits devant la justice », a martelé le colonel Mweisire, déclarant que leur arrestation constituait une « confirmation absolue de ce que le gouvernement du Rwanda a toujours dit ». Il a également affirmé que les FDLR combattaient aux côtés des forces congolaises et « qu’ils ont travaillé avec toute la coalition », citant notamment les Burundais, la mission de l’ONU en RDC (Monusco) et les miliciens « wazalendo ».
Oscar Balinda, porte-parole adjoint du M23, a quant à lui déclaré à la presse : « Ils sont au total 20 militaires FDLR commandés par un général. Nous continuons à en traquer d’autres qui se cachent dans la ville de Goma ».
Escortée jusqu’au poste-frontière par des combattants du M23, la vingtaine de membres des FDLR, vêtus d’uniformes portant le drapeau de la RDC, certains trop jeunes pour avoir participé au génocide de 1994, ont ensuite été méthodiquement fouillés par des policiers rwandais.
Le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, a réagi sur X (anciennement Twitter) en déclarant que le M23, en remettant le groupe arrêté « sur le champ de bataille », effectue le travail « que la communauté internationale pharisaïque [hypocrite] aurait dû faire au cours des 30 dernières années ».
Le général Gakwerere : un passé sombre

Le général Ezéchiel Gakwerere, présenté comme l’un des captifs, est une figure controversée. Accusé par plusieurs rapports internationaux d’avoir pris une part active au génocide des Tutsi d’avril à juillet 1994 dans la ville de Butare, dans le sud du Rwanda, son nom est cité à plusieurs reprises dans l’acte d’accusation du capitaine Ildephonse Nizeyimana, surnommé le « boucher de Butare ». Ce dernier a été condamné à trente-cinq ans de prison en 2014 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
Cependant, des sources indépendantes affirment que Gakwerere aurait quitté les FDLR il y a plusieurs années et serait retourné au Rwanda, travaillant désormais pour le compte des services de renseignement rwandais. Sa réapparition soudaine dans ce contexte soulève des questions sur la véracité de l’opération et sur les motivations réelles de Kigali.
Contexte diplomatique : Les revers récents du Rwanda
Ces événements surviennent dans un contexte où le Rwanda fait face à des revers diplomatiques significatifs. Récemment, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont suspendu une partie de leur aide financière au Rwanda, exprimant des préoccupations concernant le respect des droits de l’homme et la situation sécuritaire dans la région des Grands Lacs. Londres a notamment suspendu un programme d’aide de plusieurs millions de livres sterling, tandis que Bruxelles a révisé ses engagements financiers envers Kigali.
Ces décisions reflètent la pression croissante de la communauté internationale sur le Rwanda pour qu’il cesse son soutien présumé au M23 et qu’il s’engage dans une résolution pacifique des conflits dans la région. La suspension de l’aide britannique et européenne constitue un signal fort, montrant que les alliés traditionnels du Rwanda ne sont plus disposés à fermer les yeux sur les actions controversées de Kigali. Ces revers diplomatiques pourraient expliquer en partie la tentative de manipulation récente, visant à redorer l’image du Rwanda et à justifier ses actions en RDC.
Processus de résolution du conflit : L’implication de l’EAC et de la SADC

Face à l’escalade des tensions entre la RDC et le Rwanda, la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont initié des processus diplomatiques pour résoudre le conflit. L’EAC a déployé une force régionale dans l’est de la RDC, tandis que la SADC a également exprimé son engagement à soutenir les efforts de paix. Ces initiatives visent à faciliter un dialogue inclusif entre les parties prenantes et à mettre en place des mécanismes de désescalade.
Cependant, la crédibilité de ces efforts dépendra de la volonté des parties impliquées, notamment le Rwanda, à coopérer de bonne foi. Les récentes allégations de Kigali concernant les FDLR, perçues comme une manipulation, risquent de saper la confiance nécessaire à la réussite de ces processus de paix.
Les allégations rwandaises concernant la capture des FDLR par le M23 semblent entachées de contradictions et de manipulations. Ces actions risquent d’aggraver les divisions régionales et de compromettre les efforts de paix dans les Grands Lacs. Alors que la RDC continue de dénoncer l’ingérence rwandaise, il est crucial que la vérité et la justice prévalent pour rétablir la confiance et la stabilité dans la région. Les récents revers diplomatiques du Rwanda, notamment la suspension de l’aide britannique et européenne, montrent que la patience de la communauté internationale s’amenuise face aux actions controversées de Kigali. Par ailleurs, les initiatives de l’EAC et de la SADC pour résoudre le conflit doivent être soutenues, mais elles nécessitent une coopération sincère de toutes les parties, y compris du Rwanda, pour aboutir à une paix durable.
MN
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