Dans un contexte marqué par une crise sécuritaire persistante dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), le président Félix Tshisekedi a récemment exprimé sa volonté de tendre la main à l’opposition pour construire une union nationale. Parmi les premières réponses à cette initiative, celle d’Adolphe Muzito, ancien Premier ministre et candidat malheureux à la présidentielle de 2023, se distingue par son soutien sans condition. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, Muzito a réaffirmé sa disponibilité à collaborer avec le gouvernement pour faire face à ce qu’il qualifie d’« ennemi commun » : le Rwanda, accusé de soutenir la rébellion du M23.
Un appel à l’union sacrée
Adolphe Muzito, connu pour son pragmatisme et son refus du radicalisme, se positionne en faveur d’une union nationale, malgré les réticences de nombreux membres de l’opposition. Pour lui, la priorité absolue est de faire face à la crise sécuritaire qui frappe les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, où le M23 a pris le contrôle de territoires stratégiques, dont les villes de Goma et Bukavu. Il estime que cette union doit dépasser les clivages politiques et idéologiques pour se concentrer sur la défense de la nation.
Muzito propose une approche en trois volets pour résoudre la crise : diplomatique, militaire et socio-économique. Sur le plan diplomatique, il salue les avancées récentes, notamment la reconnaissance internationale de l’agression rwandaise. Cependant, il insiste sur la nécessité de sanctions plus fermes contre Kigali. Sur le terrain militaire, il appelle à une reconquête des territoires occupés et à une stratégie de défense robuste pour prévenir de futures attaques.
Une économie de guerre pour financer la défense

L’ancien Premier ministre plaide également pour la mise en place d’une « économie de guerre ». Selon lui, la RDC doit augmenter ses ressources propres pour financer l’effort de guerre tout en poursuivant le développement du pays. Il propose d’augmenter la pression fiscale, actuellement autour de 10 à 12 %, pour atteindre 25 %, ce qui permettrait de doubler le budget de l’État. Cette mesure, bien que potentiellement impopulaire, serait selon lui nécessaire pour renforcer les capacités de défense et de reconstruction du pays.
Muzito souligne également l’importance de mobiliser des ressources extérieures, notamment via des partenariats internationaux et des emprunts sur les marchés financiers. Il rappelle que la RDC, avec un faible niveau d’endettement, dispose d’une marge de manœuvre importante pour financer sa reconstruction et sa défense.
Les divisions de l’opposition

Alors que Muzito se range derrière Tshisekedi, une grande partie de l’opposition reste sceptique face à l’initiative d’union nationale. Certains leaders politiques critiquent la gestion de la crise sécuritaire par le président et rejettent sa main tendue. Muzito, quant à lui, estime que cette posture est contre-productive. Pour lui, l’union sacrée doit se construire avant tout dans l’unité du peuple, plutôt que dans les querelles de positionnement politique.
La question du dialogue avec le M23
Sur la question épineuse du dialogue avec le M23, Muzito adopte une position nuancée. Tout en soutenant les efforts diplomatiques de Tshisekedi, il ne rejette pas l’idée d’écouter les revendications du groupe rebelle dans le cadre du processus de Nairobi. Cependant, il insiste sur la nécessité de traiter le M23 en fonction du rapport de force sur le terrain, sans céder à des concessions qui pourraient affaiblir la position de la RDC.
Un regard critique sur le passé et l’avenir
Muzito ne manque pas de rappeler que la crise sécuritaire en RDC ne date pas d’hier. Il reconnaît les efforts de Tshisekedi pour augmenter le budget de la défense, tout en soulignant les limites imposées par des ressources financières insuffisantes. Il propose la création d’un fonds souverain financé par les minerais stratégiques du pays, une idée qui pourrait selon lui renforcer la capacité de l’État à financer la guerre et la reconstruction.
Enfin, Muzito aborde la question des réformes constitutionnelles, un débat qui a été relégué au second plan par la crise sécuritaire. Il estime que ces réformes restent nécessaires, notamment pour repenser la forme de l’État et le régime politique. Pour lui, la guerre ne doit pas empêcher la RDC de se projeter dans l’avenir et de préparer les bases d’une stabilité durable.
Adolphe Muzito incarne une voix modérée au sein de l’opposition congolaise, prônant l’union nationale et une approche pragmatique pour résoudre la crise sécuritaire. Son soutien à Félix Tshisekedi, bien que critiqué par certains de ses pairs, reflète une volonté de prioriser l’intérêt national face à une menace commune. Cependant, son appel à une économie de guerre et à des réformes structurelles soulève des questions sur les sacrifices que la population congolaise devra consentir pour sortir de cette crise. Dans un contexte marqué par des divisions politiques profondes et une instabilité régionale persistante, la voie de l’union nationale reste semée d’embûches, mais elle apparaît pour Muzito comme la seule option viable pour sauver la nation.
MN
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