Europe: les discours identitaires alimentent-ils les violences xénophobes?

par admin9775

Depuis deux mois, différents pays d’Europe sont secoués par des vagues de mobilisations anti-immigration qui sombrent dans la violence. L’émergence de cette tendance témoigne de l’efficacité grandissante des discours identitaires auprès des populations particulièrement touchées par les inégalités sociales.

Irlande du Nord, Espagne, Royaume-Uni… Depuis le mois de juin, les manifestations anti-immigration se multiplient en Europe, occasionnant presque systématiquement des violences. Difficile de ne pas voir le spectre des émeutes britanniques de l’été dernier planer au-dessus de ces mobilisations qui émulent le déchainement de violence survenu outre-Manche après le meurtre de trois jeunes filles à Southport le 29 juillet 2024. Il aura fallu moins d’un an pour que des rassemblements du même ordre agitent de nouveau l’archipel britannique, mais aussi l’Espagne.

Le 9 juin 2025, c’est d’abord la ville de Ballymena, en Irlande du Nord qui s’embrase après l’arrestation, la veille, de deux adolescents d’origine roumaine suspectés d’avoir agressé sexuellement une jeune fille. Un mois plus tard, le 9 juillet, l’Espagne sombre à son tour dans la violence xénophobe après l’agression d’un homme de 68 ans dans la ville de Torre Pacheco, en Murcie. Dans le même temps, commencent à Epping, au nord de Londres, des rassemblements violents d’opposants à l’immigration devant le Bell Hotel. Les abords de cet établissement qui accueille des demandeurs d’asile continuent d’être régulièrement investis par des centaines de manifestants.

Même les rassemblements du 19 juillet en Pologne, quoique « pacifiques », ont vu de nombreux cortèges arborant le slogan « Stop à l’immigration » investir les rues de plus de 80 villes du pays, et s’inscrivent dans ce climat de contestation de plus en plus visible de la politique d’accueil européenne.

« Nous assistons à une érosion délibérée des principes fondamentaux de la coexistence démocratique », martèle Gemma Pinyol Jiménez, professeure à la faculté de sciences politiques et de sociologie de l’université autonome de Barcelone. Continuer de considérer ces démonstrations de force comme des événements isolés serait « courir le risque de passer à côté du nœud du problème », à savoir « la normalisation grandissante de discours haineux et xénophobes », poursuit la chercheuse. Reste à savoir pourquoi ces discours trouvent une nouvelle résonance aujourd’hui.

L’œuf ou la poule ?

Difficile d’isoler une cause profonde de cette résurgence de violences. Les discours identitaires, généralement promus par l’extrême droite, n’ont pas disparu depuis le début du XXIème siècle. Mais le retour des violences fréquentes de grande ampleur s’inscrit dans un regain de popularité de ces idées. Ces dernières sont-elles ainsi à l’origine des émeutes ou jouent-elles un rôle de catalyseur de tensions préexistantes ? La réponse n’est pas évidente.

Les « inégalités grandissantes, l’anxiété économique ou la fragmentation sociale » sont autant de raisons qui poussent ceux qui en sont victimes à voir dans les discours identitaires une réponse unique à leur situation, selon Gemma Pinyol Jiménez. Sans être la seule raison de l’émergence de ces violences xénophobes, ces positions « entretiennent la peur, prônent l’exclusion et confèrent une légitimité à l’action violente », selon la chercheuse. Le migrant prend un rôle de « bouc-émissaire » et devient un « danger plutôt qu’un être humain ».

« Les prix élevés des logements, le chômage ou des conditions de travails précaires » rendent attrayantes l’envie de « blâmer les immigrés pour tous les maux de la société », selon Zenia Hellgren, sociologue à l’université publique de Barcelone et membre d’un groupe de recherche interdisciplinaire sur l’immigration. Au Royaume-Uni, le taux de chômage des jeunes tourne aux alentours des 14 % et en Espagne dépasse les 24 %. Les deux pays traversent également une importante crise des logements. Des situations sur lesquelles s’appuient les discours anti-immigration.

En Grande-Bretagne, les passages successifs de Boris Johnson puis de Richi Sunak à Downing Street ont entretenu l’idée de la crise migratoire. Voilà des années que le feu couve et il ne suffit aux identitaires de l’extrême droite britannique que d’un léger souffle pour l’entretenir des jours durant. Sans s’être encore présenté aux abords du Bell Hotel, qu’il qualifie « d’hôtel des migrants », l’influenceur islamophobe Tommy Robinson a régulièrement utilisé son compte X à 1,3 million d’abonnés pour soutenir les manifestants. Nigel Farage, le leader du parti d’extrême droite « Reform UK », s’est également illustré dans l’affaire Epping en reprenant à son compte une désinformation concernant l’acheminement de contre-manifestants en bus par la police. Qui plus est, ces discours entretiennent le besoin de faire corps face à « l’Autre », en dramatisant la question pour mieux jouer sur les peurs collectives.

Le sectarisme et l’exclusion

Cette observation se vérifie particulièrement en Irlande du Nord où le sectarisme fait partie intégrante de l’histoire de l’Ulster. Cet « héritage s’observe dans des lieux comme Ballymena », selon Jack Crangle, professeur d’histoire moderne à la Queen’s University de Belfast. Cette hostilité qui a longtemps régit les rapports entre catholiques et protestants, nationalistes et unionistes, « s’est progressivement dirigée vers un nouvel ‘‘Autre’’ à mesure que l’immigration en Irlande du Nord a augmenté », observe l’historien dans un article intitulé « Northern Ireland has a long history of immigration and diversity. And of racism ».

L’augmentation d’entreprises xénophobes de la part de certaines mouvances loyalistes est documentée depuis plusieurs années. L’une des plus récentes en date s’est produit le 10 juillet 2025 lorsqu’un bucher, érigé à Moygashel dans le cadre d’une tradition loyaliste annuelle s’est illustré par l’installation, à son sommet, d’un bateau rempli de mannequins à la peau noire accompagné d’une pancarte appelant à « arrêter les bateaux ». Mais la promotion du rejet de l’étranger n’épargne pas l’Espagne.

Depuis sa montée en force en 2019, le parti d’extrême droite espagnol Vox s’appuie sur « l’imaginaire de la Reconquista », selon Carole Viñals, maître de conférences-HDR à l’Université de Lille, spécialiste en civilisation de l’Espagne contemporaine. « Ils rejettent toute atteinte à l’unité territoriale de l’Espagne, poursuit la chercheuse, mise en péril par l’accueil de populations immigrés ». Aux élections régionales de 2023, le parti de Santiago Abascal a doublé son score national de 12,3 % dans la province de Murcie, atteignant 26 % dans la municipalité de Torre Pacheco. Le président de Vox en Murcie, José Ángel Antelo, est d’ailleurs visé par une enquête pour incitation à la haine raciale dans le cadre des émeutes.

Cette augmentation dans l’intensité et l’échelle des violences xénophobes en Europe depuis l’été dernier doivent être considérés dans leur globalité, estime Gemma Pinyol Jiménez. La chercheuse insiste sur le besoin d’encadrer « les discours haineux » mais avant tout de répondre aux « réels besoins de la population, en renforçant l’État social et la cohésion citoyenne ». Il s’agirait alors pour les États européens de traiter le problème à la racine, en conciliant accueil de populations immigrées et stabilisation du socle social national. Sans cela, ils prennent le risque d’attiser la rhétorique de la « préférence nationale » brandie par les identitaires.

RFI

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