Le ministère américain de la Justice a ouvert une enquête pour identifier la personne qui se trouve à l’origine d’une fuite massive de documents classifiés liés à la guerre en Ukraine, les agissements des adversaires mais aussi des alliés des États-Unis, et publiés cette semaine sur les réseaux sociaux.
La presse américaine a dévoilé, dimanche 9 avril, de nouvelles informations ultra-sensibles révélées par ces documents sensibles qui se sont retrouvés en ligne sur des réseaux sociaux ou des forums de jeux vidéo. Sur la guerre en Ukraine d’abord, ils montrent l’étendue et la précision des renseignements qui sont collectés aux États-Unis, selon le New York Times. Les services américains seraient ainsi capables d’être informés à l’avance sur les cibles des bombardements russes. Des renseignements particulièrement précieux pour l’Ukraine, mais ces documents montrent également, selon le quotidien américain, que les Américains espionnent l’état-major et les dirigeants ukrainiens.
D’autres informations qui figurent dans les documents ne concernent l’Ukraine qu’indirectement : il s’agit par exemple des tentatives imputées au groupe Wagner d’acheter des armes à la Turquie par l’intermédiaire du Mali. Ou encore des informations sur le débat au sein du gouvernement sud-coréen concernant la livraison de munitions à l’Ukraine.
Démenti du Mossad
Enfin, il y a des informations qui n’ont rien à voir avec l’Ukraine, notamment sur la situation en Israël. Selon ces documents, la CIA aurait ainsi recueilli des éléments contenant des preuves que des dirigeants du Mossad avaient encouragé leurs employés et la population à protester contre la réforme du système judiciaire promue par le gouvernement israélien, rapporte notre correspondant à Jérusalem, Michel Paul.
« Un pur mensonge », affirme-t-on au Mossad. Dans un communiqué, le célèbre service secret israélien réagit au document classifié du Pentagone partagé en ligne, un fait peu courant. « Le Mossad et ses responsables n’ont pas du tout abordé la question des manifestations et sont restés fidèles à la valeur de l’État qui les a toujours guidés », a assuré l’organisation.
Pour Ronen Bergman de Yediot Aharonot, un spécialiste des services secrets, les renseignements américains ont tout simplement mal interprété le message intercepté. Mais pour le journaliste, le plus inquiétant, c’est le niveau de pénétration très profond des Américains dans le système de communications cryptées israélien. Ce qui est certain, estime un autre analyste, c’est que cette affaire va fournir du carburant aux partisans de Benyamin Netanyahu pour poursuivre la répression du mouvement de protestation anti-réforme. Yair Netanyahu, le fils du Premier ministre israélien, avait affirmé récemment que les États-Unis finançaient les manifestations pour provoquer la chute du gouvernement
Des sources fragilisées
La diffusion sur internet de ces informations ultra-sensibles aura des conséquences sans doute majeures. En termes de confiance, d’abord. Si les États-Unis ont pu laisser fuiter ces informations, leurs alliés hésiteront davantage à leur confier leurs renseignements. Les sources que les services américains utilisent, notamment en Russie, pourraient également être menacées. Pour le Washington Post, les fuites montrent jusqu’où les services américains ont pu pénétrer au sein de l’armée russe et des services de renseignements militaires. Ce qui pourrait aider la Russie à les identifier et à les neutraliser.
« Ces documents révèlent des renseignements extrêmement détaillés et en plus de cela, ils décrivent la manière dont ces renseignements ont été obtenus, souligne Shashank Joshi, analyste Défense au sein de la revue britannique The Economist au micro deDaniel Vallot du service International de RFI. Dans de nombreux cas, il s’agit de renseignements électroniques, captés par des moyens de communication. Cela va permettre aux cibles de ces interceptions de prendre des mesures pour tenter de neutraliser ces moyens de communications, qu’il s’agisse du gouvernement israélien, du gouvernement sud-coréen et bien sûr de l’état-major et des services de renseignements russes qui sont tous mentionnés dans les documents. Et il leur sera d’autant plus facile de le faire que les documents sont très détaillés en ce qui concerne les conversations et les éléments de communication spécifiques auxquels ils font référence. Il ne s’agit pas d’informations génériques, mais souvent de conversations précises entre des responsables étrangers spécifiques. Il sera donc beaucoup plus facile d’identifier la source de l’interception ou la source de la fuite et, en ce sens, je pense que les Américains vont perdre beaucoup de sources de renseignement dans les jours et les semaines à venir. »
La piste d’une fuite interne
À moins, bien sûr, que tous ces documents soient des faux. Le Washington Post comme le New York Times affirment cependant que plusieurs responsables américains haut placés ont authentifié au moins une partie des documents.
Les Départements de la Défense et de la Justice ont tous deux ouvert des enquêtes. Et selon les dernières informations, les autorités privilégient la piste d’une fuite interne. C’est ce qu’affirme Michael Mulroy, l’un des hauts responsables du Pentagone, rapporte notre correspondante à New York, Loubna Anaki. De nombreux documents qui se sont retrouvés sur les réseaux sociaux étaient uniquement entre les mains des Américains et personne d’autre, pointe-t-il. Les enquêteurs envisageraient ainsi que cette fuite puisse être l’acte d’un employé mécontent ou, plus grave, une menace interne qui chercherait à nuire aux intérêts de sécurité nationale des États-Unis.
En attendant que l’enquête avance, le Pentagone a restreint la circulation des informations classifiées.
RFI via CONGO PUB Online