La massification de la vente de véhicules électriques, notamment dans les pays occidentaux, mène à une pression accrue sur les pays producteurs de cobalt. Parmi eux, la République démocratique du Congo (RDC) s’est imposée comme le premier exportateur du globe, avec 70 % de la production et 50 % des réserves mondiales. Les acteurs de la filière cobalt, essentielle à la transition énergétique, sont aujourd’hui scrutés et poussés à se muer en « industriels responsables », tandis que perdure à grande échelle un modèle d’extraction artisanale peu conforme avec les standards internationaux.
En RDC, la filière cobalt se structure d’une part autour d’une myriade d’acteurs locaux, parfois en marge de la légalité, qui généreraient, selon les données de la Banque mondiale, 200 000 emplois directs. Ces mines artisanales représentent encore aujourd’hui de 20 à 40 % de la production annuelle du pays pour environ 800 millions de dollars de revenus.
La délicate équation minière congolaise
D’autre part, des mines industrielles, opérées par des entreprises souvent étrangères, occidentales ou chinoises, ont la main sur le reste de la production. Arrivées sur le marché au début des années 2000, ces mines sont soumises à des contraintes environnementales et des standards réglementaires plus élevés. Cet éparpillement de la production reste récent et a suivi de près les nombreux tourments politiques du pays et la chute de la Gécamines, la florissante entreprise d’État des mines qui dominait largement le marché. Dans les années 1970 et 1980, la Gécamines comptait ainsi 34 000 ouvriers avant de s’effondrer dans le sillage du régime du président Mobutu Sese Seke. Avec près de 400 millions d’euros de taxes et impôts, elle représentait aussi la première source de revenus du pays. Un fleuron -et une fierté- national privatisé en 2010, qui renaît peu à peu de ses cendres après plusieurs scandales de corruption.
En 2016, la publication d’un rapport d’Amnesty International, intitulé « Voilà pourquoi on meurt », a exposé au monde les conséquences humaines dramatiques de l’exploitation irraisonnée du cobalt en RDC. Sans remise en état des sites d’extraction, l’impact environnemental de l’exploitation du cobalt par les mines artisanales n’est pas non plus anodin. Loin d’être sauvage, ce modèle d’extraction « familial » est pourtant partiellement réglementé par un Code minier, daté de 2002. Il est d’ailleurs soumis au contrôle de la SAESSCAM, l’autorité gouvernementale chargée de faire respecter la réglementation autour de l’exploitation minière. Mais elle peine, faute de moyens, à assurer ses missions de contrôle sur les quelques 800 mines artisanales du pays et se heurte parfois à la résistance des populations, dépendantes de l’exploitation minière pour leur survie économique. Au niveau international, pas question non plus de se passer de cobalt. Les applications industrielles du cobalt sont en effet essentielles dans bien des pans de la transition énergétique, notamment pour la fabrication des batteries des voitures électriques. « La transition (énergétique) est très dépendante de minéraux dont l’industrie va devoir intensifier la production. C’est bien sûr une opportunité mais cela crée aussi des risques majeurs », explique Adam Mathews, en charge de la politique d’investissement d’un fonds de pensions responsable.
En effet, dans un pays dont le taux de chômage des 15 – 24 ans dépasse les 19 % et qui connaît un taux de pauvreté stratosphérique, estimé à 75 % de la population, une interdiction pure et simple des mines artisanales serait une « véritable catastrophe économique », selon Guillaume de Brier, chercheur au sein de l’International Peace Information Service. En réaction, les embryons d’un modèle coopératif se dessinent sous la houlette des pouvoirs publics, aspirant à créer des synergies entre les principaux industriels et les mines artisanales pour permettre aux secondes de profiter des technologies des premières et de les rendre conformes aux standards internationaux. Depuis mars 2021, ECG, une filiale de la Gécamines, tente ainsi officiellement de reprendre la main sur les mines artisanales grâce à un décret lui offrant le monopole de l’achat du cobalt extrait de manière artisanale en RDC.
Les poids-lourds du secteur forcés à se mobiliser
Face aux critiques, les principaux acteurs du secteur impulsent peu à peu une transition vers un modèle plus « responsable », supposé garantir le respect des droits humains et un moindre impact de l’exploitation minière sur l’environnement. En août 2020, le fabricant de smartphone Fairphone a ainsi lancé l’initiative Fair Cobalt Alliance (FCA) « afin de renforcer et de professionnaliser le secteur minier artisanal du cobalt en RDC », en faisant de « l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMPAE) » un modèle économique viable et soutenable dans le domaine environnemental. Plusieurs grands acteurs du secteur ont d’ailleurs rejoint la coalition, notamment le chinois CMOC, aussi membre de l’Initiative pour les minéraux responsables, plus spécifiquement orientée vers l’extraction minière dans les zones de conflits et à hauts risques sécuritaires. La FCA compte aussi dans ses rangs Tesla, Glencore mais aussi des ONG, dont The Center for Child Rights and Business ou encore Save the Children.
Plus encore, les grands opérateurs miniers s’engagent désormais à avoir un impact global sur l’ensemble de la communauté minière. La mine Tenke Fungurume, opérée par le chinois CMOC depuis 2016, s’est ainsi engagée à respecter un ensemble de critères ESG, dont la construction de deux écoles, d’un foyer social, la construction de plusieurs hangars pour tracteurs agricoles, la réhabilitation de près de 15 kilomètres de routes ou encore la construction d’un point à Fungurume. Des entreprises locales ont, à chaque fois, été mandatées pour réaliser ces travaux.
Ambition congolaise sur toute la chaîne de valeur
Pour les États exportateurs, l’autre priorité est de maîtriser non seulement la filière, mais encore ses applications industrielles pour diversifier leurs économies et ne plus se contenter d’être des « (sources) de matière premières » et profiter des bénéfices d’une transformation domestique, plus rentable à l’exportation. La Zambie et la RDC, qui possèdent à elles deux 80 % des réserves mondiales de cobalt et de lithium, ont signé en avril dernier un protocole d’accord visant à mettre en place « une chaîne de valeur commune pour les secteurs de la mobilité électrique et de l’énergie propre ». La première usine sera installée à Lubumbashi, dans la province du Haut-Katanga, cœur économique de l’exploitation minière en RDC.
AFRIK.COM via CONGO PUB Online