Depuis le début de la guerre à Gaza, Israël a arrêté plusieurs milliers de Palestiniens en Cisjordanie. Ces dernières semaines, différents rapports et enquêtes ont révélé l’ampleur des mauvais traitements subis par ces détenus dans les prisons israéliennes. L’ONG israélienne B’Tselem parle d’un « réseau de camps de torture ». Récemment sorti de prison, un Palestinien d’Hébron témoigne.
La scène se passe au siège du gouvernorat d’Hébron, la plus grande ville de Cisjordanie. Ce jour d’août, le ministre de l’Autorité palestinienne en charge des prisonniers vient à la rencontre d’un groupe d’ex-détenus, récemment sortis des prisons israéliennes. L’image est frappante : autour de la longue table, on les reconnaît instantanément à leur peau pâle et parcheminée, à leurs traits tirés et – bien souvent – à leurs vêtements qui semblent flotter sur eux.
Tous ont passé des mois en prison, après avoir été arrêtés le 7 octobre. Palestiniens de Cisjordanie, ils n’ont en aucun cas participé aux attaques meurtrières qui ont été lancées de la Bande de Gaza ce jour-là. L’un de ces ex-prisonniers accepte de nous parler. Immense et barbu, il ne ressemble plus à la photo du colosse bien en chair que son frère nous montre sur son téléphone portable, tant il a maigri.
Coups et privations
Cela fait deux semaines qu’il a retrouvé la liberté. Sympathisant du Hamas, il a été arrêté quelques jours après les attaques du 7-Octobre et placé en détention administrative, c’est dire sans procès. Cet ouvrier en bâtiment était déjà passé par la case prison à cinq reprises au cours de sa vie, mais cette fois était très différente : « On m’a brûlé. Ils ont lâché sur moi un chien sans muselière qui m’a mordu. Ils m’ont cassé des côtes. J’ai été menotté pendant six mois et je n’ai pas été soigné quand le médecin venait. »
Une fois lancé, le quadragénaire ne s’arrête plus de parler. Il raconte les passages à tabac, le manque de nourriture (« on nous donnait des portions d’enfants de deux ans ») et d’eau. Absence d’hygiène également, avec pour conséquence une épidémie de gale [un parasite de la peau, NDLR] occasionnant des démangeaisons à tous les détenus.
Le récit se poursuit : confiscation des effets personnels, entraves à la pratique religieuse (« ils ont jeté un Coran à la poubelle devant moi »), manque de vêtements chauds l’hiver, absence de contacts avec l’extérieur
Itamar Ben Gvir
Un récit qui ressemble aux 55 témoignages recueillis par l’organisation israélienne de défense des droits de l’Homme B’Tselem, dans un rapport qui s’intitule « Bienvenue en enfer ». Le document décrit des prisons transformées en « un réseau de camps de torture ». B’Tselem précise que les récits des prisonniers ont été recoupés par d’autres témoignages et par des rapports médicaux. « Aucun des ex-détenus avec lesquels nous avons parlé n’est soupçonné de participation aux attaques du 7 octobre », souligne Sarit Michaeli, porte-parole de B’Tselem.
Le fait est qu’Israël les a ensuite libérés après leurs longs mois de détention administrative, sans les inculper ni les juger. Le rapport mentionne la responsabilité particulière d’un homme en charge de la sécurité nationale et donc des prisons : le ministre de la Sécurité intérieur et membre de l’extrême-droite Itamar Ben Gvir.
« Il est clairement l’inspirateur de cette politique », affirme Sarit Michael qui cite les déclarations publiques du ministre revendiquant les restrictions alimentaires en prison. « Ben Gvir, au sein de ce gouvernement, a fait adopter toute une série de mesures d’urgence qui ont rendu possible ces changements dans le traitement des prisonniers palestiniens et qui ont empêché tout contrôle extérieur. On ne parle pas ici d’un gardien de prison cinglé ou d’un soldat violent : c’est une politique ». « Nous devons le dire clairement, poursuit Sarit Michaeli, les membres du Hamas qui ont commis les horreurs du 7-Octobre doivent rendre des comptes pour cela. Mais la torture n’est jamais permise. »