Dans un contexte de tensions persistantes dans la région des Grands Lacs, les États-Unis pilotent une initiative diplomatique visant à établir un cadre légal pour l’exportation des minerais congolais vers le Rwanda. Objectif affiché : réduire les flux illicites, atténuer les conflits armés et favoriser le développement économique régional. Le projet, encore en phase de négociation, pourrait profondément redéfinir les dynamiques économiques entre Kinshasa et Kigali, deux capitales en désaccord sur le plan sécuritaire depuis plusieurs années.
Une approche tripartite pour la traçabilité et la transformation
Le plan américain s’articule autour de trois volets :
- L’établissement de circuits légaux d’exportation de minerais tels que le tungstène, le tantale et l’étain de l’Est de la RDC vers le Rwanda.
- La mise en place d’unités de transformation au Rwanda, afin de créer de la valeur ajoutée localement et d’intégrer la chaîne industrielle formelle.
- L’activation de financements occidentaux, avec le soutien de l’US International Development Finance Corporation (DFC) et la mobilisation d’une trentaine d’investisseurs américains.
Selon un diplomate occidental proche du dossier, « la logique est simple : offrir au Rwanda des bénéfices économiques légaux pour réduire l’incitation au pillage et renforcer les mécanismes de paix durables. »
Des lignes rouges posées par Kinshasa
Les autorités congolaises accueillent la proposition avec une prudente réserve. Kinshasa a rappelé que toute coopération économique avec le Rwanda restait conditionnée au respect de plusieurs exigences incontournables :
- Le retrait total des troupes rwandaises et des rebelles du M23 du territoire congolais.
- La reconnaissance pleine et entière de la souveraineté congolaise.
- La mise en œuvre de mécanismes de traçabilité fiables et vérifiables tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Un haut fonctionnaire congolais, sous couvert d’anonymat, insiste : « La coopération minière ne peut s’envisager sous occupation militaire. Le préalable, c’est la sécurité. »
Intérêts croisés et calculs stratégiques

Chacune des parties impliquées voit dans ce projet des bénéfices potentiels :
- Pour la RDC, il s’agit de formaliser les exportations, de stimuler l’industrialisation, et d’augmenter les recettes fiscales du secteur minier.
- Pour le Rwanda, le projet représente une opportunité d’asseoir une position régionale légitimée par des circuits économiques formels.
- Pour les États-Unis, il s’agit d’une manœuvre géopolitique visant à réduire la dépendance mondiale aux minerais africains contrôlés par des acteurs chinois.
Le Département d’État américain a confirmé travailler à la mise en place de « chaînes de valeur transparentes allant de la mine au métal transformé », dans le cadre d’un effort plus large de sécurisation des ressources stratégiques.
Précédents et méfiances

Le climat de confiance reste néanmoins fragile. En 2021, un accord similaire portant sur l’or avait échoué dans un contexte de reprise des hostilités dans le Nord-Kivu et de perte de contrôle de la ville stratégique de Bunagana. Les analystes redoutent un nouvel enlisement si la dimension sécuritaire n’est pas prioritairement réglée.
Pour William Millman, expert du secteur minier, « la méfiance entre Kinshasa et Kigali est telle qu’aucune avancée significative ne peut être obtenue sans un arbitre solide comme les États-Unis. »
Un projet ambitieux, mais à long terme
Les diplomates impliqués dans les négociations reconnaissent que les enjeux dépassent largement la sphère économique. La crise actuelle puise ses racines dans des dynamiques complexes, liées à l’histoire du génocide de 1994, aux tensions ethniques transfrontalières, et à la compétition pour le contrôle des ressources.
Malgré les obstacles, les prochaines semaines s’annoncent déterminantes. La signature d’un accord-cadre est envisagée pour l’été 2025, sous réserve d’un apaisement sur le terrain. La mobilisation d’investisseurs occidentaux et l’implication directe de l’administration américaine sont perçues comme des signaux encourageants.
En attendant, les gouvernements congolais et rwandais n’ont pas encore publié de déclaration officielle à ce stade des discussions.
Par Marc Etumba, correspondant à Kinshasa
CONGO PUB Online