Le président rwandais Paul Kagame a, pour la première fois, réagi publiquement à la chute d’Uvira aux mains du M23, la présentant non comme une conquête militaire mais comme une réponse humanitaire et sécuritaire. Dans une déclaration prononcée ce mercredi, il a justifié l’avancée rebelle par la nécessité de « venir en aide » aux populations Banyamulenge et par l’échec présumé de Kinshasa à neutraliser la menace des rebelles rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
« Les gens ont crié au secours, mais personne n’est venu les aider »
M. Kagame a construit son argumentaire sur un récit de victimes abandonnées. « Les gens ont crié au secours, mais personne n’est venu les aider », a-t-il déclaré, évoquant les Banyamulenge, une communauté tutsi congolaise vivant notamment dans le Haut Plateau du Sud-Kivu. Il a ensuite étendu cette notion d’abandon aux « milliers et des milliers de Burundais » qu’il affirme avoir été pris dans les combats à Uvira (Buvira dans son propos) et avoir dû fuir.
Son discours a ensuite opéré un glissement accusatoire, pointant du doigt le déploiement massif de l’armée burundaise en RDC, estimant celle-ci à « plus de vingt mille soldats ». Il a questionné la présence d’un tel contingent alors que, selon lui, régnait « un chaos total ». Il a accusé ces forces, alliées de Kinshasa, de vouloir « tuer des gens dans les zones de Minembwe », et d’y être parvenues en utilisant « bombardements, artillerie, drones ».
La justification officielle : la menace persistante des FDLR
Ces déclarations font écho au communiqué officiel publié par le gouvernement rwandais le jour même de la chute d’Uvira. Dans ce document, Kigali a explicitement lié l’offensive du M23 à l’incapacité – ou au refus – des autorités congolaises de « neutraliser les rebelles rwandais FDLR ».
Ce groupe, composé en partie d’anciens génocidaires rwandais de 1994 et actif dans l’Est de la RDC depuis des décennies, est régulièrement désigné par Kigali comme une menace existentielle justifiant ses interventions sécuritaires au-delà de ses frontières. Pour le Rwanda, l’accord tacite ou l’incapacité de Kinshasa à démanteler les FDLR constitue une violation de sa souveraineté et une provocation, fournissant ainsi le casus belli officiel pour son soutien au M23.
Un narratif à double détente
La double justification avancée par Kigali – protection des populations tutsi et lutte contre les FDLR – sert un objectif stratégique et communicationnel clair :
- Légitimation humanitaire : Elle tente de donner une couverture morale et défensive à une opération militaire offensive, en la présentant comme une intervention de protection des civils (R2P – Responsabilité de protéger).
- Légitimation sécuritaire : Elle réactive le motif historique de l’insécurité aux frontières, invoquant la menace FDLR pour justifier une action préventive ou punitive sur le sol congolais.
- Déplacement des responsabilités : Elle rejette la faute de l’escalade sur Kinshasa (pour son inaction contre les FDLR) et sur Bujumbura (pour son intervention militaire), présentant le Rwanda et le M23 comme des acteurs réagissant à une agression.
Un déni en contradiction avec les faits
Ce narratif entre en contradiction frontale avec les conclusions du dernier rapport des experts de l’ONU, qui documentent un déploiement structuré de milliers de soldats rwandais (RDF) combattant aux côtés du M23, et non une simple réaction défensive. Il ignore également la prise effective et l’occupation d’une grande ville congolaise, Uvira, loin des zones traditionnelles de peuplement Banyamulenge.
Alors que la communauté internationale exige un retrait immédiat des troupes rwandaises, le discours de Kigali signale qu’il n’envisage pas de recul et entend ancrer sa présence en RDC dans une logique de longue durée, justifiée par des impératifs sécuritaires et communautaires qu’il définit lui-même.
Par Marc Etumba, correspondant à Kinshasa
CONGO PUB Online






